Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/470

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus, dans le dialogue, je veux dire de mots d’auteur, de mots à effet, mis pour provoquer le rire, mais une singulière précision de langage, et, l’un après l’autre, s’ajoutant et se complétant, tous les traits qui peuvent servir à tracer des personnages une inoubliable silhouette. Et l’agrément en est si vif, le charme en est si insinuant, qu’on s’y laisse prendre comme sans y songer. A peine ose-t-on regretter que des qualités si rares soient appliquées dans un sujet si mince, et plutôt, on s’en veut à soi-même, où la forme est si personnelle et si près d’être exquise, d’en demander encore davantage.

Il convient d’ajouter que Ma Cousine est admirablement jouée. Si Mlle Lender est un peu guindée, peut-être, dans le rôle de Mme Champcourtier, M. Raimond, M. Cooper, dans un rôle épisodique. Mme Crosnier, dans celui de MmE Berlandet, sont excellens. Pour M. Baron, et surtout pour Mlle Réjane, nous venons trop tard, et nous ne pouvons guère que redire d’eux ce que tout le monde en a déjà dit. Leur pantomime du deuxième acte fera courir tout Paris; et c’est le cas de répéter, avec leur auteur, qu’ils y sont impayables. m’en voudront-ils si je leur conseille pourtant, à l’un et à l’autre, de charger un peu moins quelques parties de leur rôle : M. Baron, sa première scène du premier acte, et Mlle Réjane les premières scènes du second acte? On ne le leur conseillerait pas, si leur jeu était moins voisin de la perfection, et si par là, comme on le voit, la seule critique que l’on en fasse n’était encore une manière d’éloge.


Nous aurions bien voulu, en terminant, pouvoir dire quelques mots de la réouverture du Théâtre-Libre, et de la pièce de M. Henry Fèvre : l’Honneur. Mais nous n’en avons pu voir la représentation, et il a fallu nous contenter du roman, que l’auteur a soin de nous apprendre lui-même qu’il a écrit « après et d’après sa pièce. » L’analyse en serait difficile : si peu de pruderie dont on se pique, il y a pourtant des sujets dont on aime mieux ne rien dire. Notez, d’ailleurs, qu’il y a quelque talent, ou du moins qu’il nous en a semblé voir dans l’œuvre de M. Henry Fèvre. Mieux encore : il se pourrait que M. Fèvre n’eût pas eu tort de vouloir dénoncer ce qu’une certaine surface d’honorabilité bourgeoise recouvre et dissimule souvent d’égoïsme, de laideur morale, et de férocité. Nous disons seulement qu’il en avait vingt autres moyens que celui qu’il a cru devoir choisir, et je ne sais pas ce qu’il a pu penser qu’il gagnerait, lui, ni la cause qu’il voulait soutenir, à préférer le plus répugnant et le moins propre de tous.