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tendresse de Dalila, quelle intensité, et sur la robuste poitrine de Samson, quelle accablante pesée d’amour ! La voici, parée comme une idole impure. Elle s’avance à la rencontre du guerrier : — Je viens, chante-t-elle, célébrer la victoire de celui qui règne en mon cœur, — et déjà l’oreille est caressée, l’âme troublée par des notes savoureuses, les plus belles peut-être de la voix féminine. Le musicien en savait la toute-puissance quand il a écrit le rôle pour mezzo-soprano. Printemps qui commence, murmure la courtisane hardie, et la strophe commence, en effet, avec la douceur du printemps. Peu à peu la mélodie descend plus profonde et plus âpre. Elle semble se ramasser sur elle-même; en deux ou trois assauts, portée par l’unisson des violens qui double son élan, elle remonte, et du sommet où ils sont parvenus ensemble, l’orchestre et la voix retombent et ruissellent en nappes largement épanchées.

Ceux qui parfois accusent M. Saint-Saëns de sécheresse ne connaissent donc pas ces pages-là ! Ils ignorent aussi le grand duo, l’un des plus beaux parmi les beaux duos amoureux. Le second acte de l’opéra appartient tout entier à Dalila; du commencement à la fin elle occupe le théâtre et le remplit : de sa haine dans le duo avec le grand-prêtre; de son mensonge d’amour, dans le duo avec Samson. — M. Saint-Saëns manquer de passion et de tendresse! — Encore une légende qui va tomber, j’espère, quand le public, le grand et le vrai public de bonne volonté et de bonne foi, aura entendu les deux admirables strophes de Dalila aux bras de son amant. Je ne connais pas en musique d’inspiration plus chargée de volupté et plus chaude d’amour. Après cette page admirable et admirable pour tous, pour les simples comme pour les docteurs, traitera-t-on encore M. Saint-Saëns de savant et de mage? La foule ne viendra-t-elle pas à ce grand musicien? N’aura-t-elle pas enfin pour lui mieux que du respect, du respect mêlé de crainte? Aucun n’est plus accessible; aucun ne répand plus de rayons et de clartés. Nulle mélodie n’est plus copieuse que la sienne, plus chantante et plus expressive. Où trouver une fin d’acte plus tragique que la péroraison de ce duo gigantesque commencé dans les premières douceurs d’un soir d’Orient et qui s’achève à la lueur des éclairs, au grondement de la foudre?

Et comme les caractères musicaux se suivent sans jamais s’égarer ou se démentir! Il y a de la force jusque dans la faiblesse de Samson, jusque dans son effroi devant les fureurs de sa maîtresse. Quand tous les violoncelles l’accompagnent et se débattent avec lui contre la tentatrice, leur timbre vibrant donne à sa douleur l’accent d’une âme encore virile, alors même qu’elle va défaillir.

Les paysages enfin, comment le musicien les a-t-il rendus? Avec autant de puissance que les personnages, mais naturellement avec plus de sobriété, il s’est gardé surtout, dans un sujet plus humain encore