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la plus élevée, — une libéralité qui n’eût pas eu pour pendant l’encouragement des lettres, des sciences, des arts, eût manqué son but. Nulle propagande politique ne valait la construction de quelque édifice somptueux, la commande d’une statue ou d’une fresque signée d’un nom célèbre. Peut-être les Mécènes du temps, à commencer par le duc François Sforza, n’avaient-ils pas tous une foi aveugle dans la mission civilisatrice des chefs-d’œuvre : du moins croyaient-ils, et en cela ces fins diplomates ne se trompaient pas, à l’effet que produirait sur la foule tout acte d’une magnificence éclairée. Ludovic, quelque étroit que fût d’ailleurs son programme politique, et quoiqu’il vécût en quelque sorte au jour le jour, ne se départit jamais de cette règle : il ne cessa de travailler avec ardeur pour attirer auprès de lui, de près ou de loin, tous les dispensateurs de la gloire, les écrivains qui chanteraient ses louanges, les artistes qui répandraient en tous lieux son effigie. En cela, et en cela seul, son instinct le servit à merveille.

Pour découvrir le modèle sur lequel il se réglerait, Ludovic n’avait qu’à jeter les yeux sur le plus fidèle des alliés de la maison Sforza, sur l’amateur clairvoyant et ardent entre tous, dont chaque découverte nouvelle vient proclamer la supériorité de vues et la prodigieuse activité. Après s’être si bien inspiré de lui pendant sa vie, lui avoir demandé conseils sur conseils, artistes sur artistes, Ludovic conçut le rêve audacieux de conquérir après sa mort l’inestimable musée réuni par Laurent le Magnifique, surtout les pierres gravées et les joyaux proprement dits. Une longue correspondance avec son orfèvre Caradosso nous initie à ses démarches, qui prirent toute l’importance d’une négociation diplomatique, elles échouèrent toutefois devant les prétentions du gouvernement florentin, devenu le détenteur des collections des Médicis,

Quoique Ludovic pût passer pour le prince selon le cœur des humanistes, — lettré, spirituel, libéral, — il lui manquait en matière de littérature et de science cette sûreté de goût que les Florentins devaient à une longue et patiente initiation, à un entraînement deux fois séculaire. En pareille matière, on n’improvise pas. Ludovic eut beau encourager la poésie et la rhétorique chez ses sujets, ou appeler du dehors les écrivains que lui signalait la renommée : rien n’y fit. Les Milanais continuèrent à écrire l’italien le plus raboteux, le plus rocailleux qui se puisse imaginer. Quant aux étrangers, tels que Bernardo Bellincione, de Florence, ils perdirent bien vite, dans ce milieu attardé et provincial, la distinction native de leur langage.

La pléiade d’humanistes, — poètes, orateurs, historiens, philologues et tutti quanti, — groupée autour de Ludovic, ne le cédait