Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
36
REVUE DES DEUX MONDES.

une halte confortable dans son modeste appartement que rien ne parvenait à le satisfaire dans les dispositions qu’il avait arrêtées. Ses perplexités eussent pu s’éterniser si l’avis que ses invités étaient en vue ne fût venu l’arracher à ses préparatifs et son chasseur à des présomptions de fièvre chaude.

Mme Marbel et sa sœur approchaient rapidement au pas relevé de leurs mules. Loin derrière arrivait, armé d’un gigantesque alpenstock, une lorgnette en sautoir et vêtu d’un complet de chasse loutre, un monsieur très rouge, fort soufflant, probablement très novice à la marche et en tout cas, pour l’instant, absolument hors de course. Ce ne pouvait être que l’infortuné Marbel, dont la détresse passait inaperçue, les deux jeunes femmes ayant accaparé l’attention générale. Les chasseurs, qui s’étaient portés à la rencontre des arrivans, étaient là, sans qu’il en manquât un seul, et saluaient d’un air fin de connaissance. Tout ce qui, dans Colmars, n’était pas aux champs faisait partie de cette sortie en masse.

Très amusées de l’effet qu’elles produisaient, Mme Marbel et Mireille s’étaient arrêtées au milieu d’un cercle toujours grossissant. De Vair les rejoignit en cet instant, s’excusant d’être ainsi en retard. On échangea des poignées de main, on procéda à la présentation des deux hommes et quelques minutes après, Jean de Vair faisait les honneurs de chez lui avec sa grâce un peu gauche de garçon. M. Marbel, rafraîchi par de copieuses ablutions et confortablement assis, s’occupait surtout du lunch, en homme qui se reprend à la vie et cherche à l’assurer pour quelque temps.

Le soleil filtrait discret par les fentes des persiennes, baignant d’une lumière très douce les fleurs des Alpes pressées dans les grands vases, déjà penchées dans la détresse de leurs altitudes perdues, mais toujours éclatantes de couleur sous cette caresse d’or de leur dernier matin. Une brise chargée de printemps se glissait légère comme une aile d’oiseau, agitant faiblement les toiles de Gènes, murmurant dans les feuillages et jouant avec les boucles folles des deux jeunes femmes. La rue avait son silence habituel ; la chambre, si pimpante dans sa verdure et sa fraîcheur, semblait éclose d’un caprice de fée au fond de cette maison noire, vieille de deux siècles comme le mur d’enceinte auquel elle s’appuyait ; tout était reposant et calme.

Silencieuse contre son habitude, Mireille regardait à la dérobée Jean de Vair, tout heureuse de connaître son logis de garçon, de se sentir chez lui, d’inspecter ses livres, ses bibelots, tous ces riens qui gardaient comme un parfum de sa vie.

Sa sœur, en revanche, ne tenait plus en place. Ses gants boulonnés, son stick à la main, elle exigeait qu’on se mît en route,