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dans les champs et dans les bois : il aspirera des principes de joie et de renouvellement avec le souffle printanier, et, parmi les odeurs et les sous de l’automne, il trouvera quelque disposition plus divine, une délicieuse tristesse qui rend meilleur le cœur apaisé. » Pour qui connaît Shelley, le passage est significatif : ce n’est plus seulement ici la rêverie de Rousseau au bord de la Saône, au chant du rossignol : c’est un croyant qui s’incline sous une main toute-puissante ; c’est un mystique communiant avec son dieu; c’est une pensée qui trouve son bonheur à se laisser mener, et une volonté qui s’abandonne aux délices. Si, en effet, nous ne sommes que des jouets aux mains de ce Pouvoir qu’on ne nomme pas, si nous ne pouvons que courber la tête et fermer les yeux sous le mystérieux « vent d’ouest[1], » si le dernier mot de la sagesse est de laisser pétrir la substance de notre être par la nature, que nous restera-t-il, sinon d’adorer, dans toutes ses manifestations, l’être mystérieux et de mieux connaître, pour les mieux bénir, toutes les émanations de son intelligence? C’est, en effet, ce qu’ils ont voulu, et Shelley, et Wordsworth, et tous les « préraphaélites ; » ils ne pensaient pas tous de même sur le principe des choses, mais ils ont eu en commun ce mysticisme naturaliste, et c’est ainsi que la morale est devenue le but même de l’art. « Sanctifiez votre âme comme un temple, » avait dit Mme de Staël : nous avons entendu, en France, que le poète devait être capable, à ses heures, d’émotions religieuses; mais, au fond, notre vrai maître était Chateaubriand, pour qui la religion consistait surtout dans l’architecture gothique, dans le chant grégorien et dans les migrations des oiseaux. Aussi épris des images, mais plus soucieux des idées, les Anglais ont apporté à l’œuvre poétique plus de naïveté, de sincérité, de piété simple ; ils n’ont pas connu cet art de diviser une âme, si je puis dire, en cloisons étanches, mettant le scepticisme d’une part et de l’autre l’émotion religieuse et poétique, ni cet autre art, facile et banal, de s’émietter, qui est le dilettantisme. Ceux qui, avec Rossetti ou Burne Jones, essayèrent d’être des primitifs, soit en poésie, soit en peinture, le furent du moins par les pieux scrupules de la sincérité et se montrèrent en cela dignes de Giotto ou de Dante : c’est ainsi que Burne Jones a peint l’histoire du roi Kophetna, que nous avons vue au Champ de Mars, et que Rossetti, — qui, pour n’être pas « le divin Rossetti, » n’en est pas moins un poète très rare, — a écrit son poème du Portrait. Mais leurs précurseurs romantiques n’avaient pas la conscience moins rigoureuse. Non-seulement ils cherchaient ce que Giordano Bruno avait nommé « l’âme du monde, » mais encore

  1. Voir, dans Shelley, la fameuse Ode to the West wind.