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écrit lui-même, je ne rêvais que métaphysique et théologie. Je ne me plaisais pas à autre chose. L’histoire et les faits n’avaient aucun intérêt pour moi. La poésie elle-même, — bien que j’eusse pour la versification des dispositions extraordinaires pour un garçon de mon âge, — me semblait insipide, ainsi que les romans. » Son professeur le qualifiait d’être « sot et sensible. » Le témoignage de son camarade Charles Lamb nous le montre debout, dans le vieux cloître de l’école, développant devant ses camarades les idées de Jamblique ou de Plotin avec « de si douces et profondes intonations » que les passans, stupéfaits, s’arrêtaient pour entendre ce nouveau Pic de la Mirandole.

En 1791, l’enfant prodige quitte Londres pour Cambridge. Il y mène une vie décousue, mais bienheureuse. Il lit beaucoup de grec, surtout du Platon. Il se préoccupe de concilier l’hellénisme et le christianisme. Il se nourrit de l’idéaliste Berkeley. De plus en plus sa faculté maîtresse, l’imagination métaphysique, se développe en lui. « L’imagination, a dit Shelley, est celle de nos facultés sans laquelle, non seulement le progrès de l’humanité, mais encore le moindre changement, ne saurait s’accomplir. » Le mot peint cette génération du commencement de ce siècle, préoccupée surtout de rétablir, en face de l’empirisme triomphant de Paley et de La Mettrie, les droits méconnus de l’imagination et du sentiment. Parmi ces contempteurs de la raison et ces mystiques, Coleridge sera au premier rang. En attendant, le jeune étudiant de Cambridge se jette avec ardeur dans les luttes religieuses du temps. Un professeur de l’université, Wilham Frend, niait le péché originel, la rédemption, la divinité du Christ, et poursuivait de ses sarcasmes l’Église établie. Coleridge adopta avec enthousiasme, à l’exemple de Freud, les doctrines unitaires, et, le jour où Freud, poursuivi et condamné par la juridiction universitaire, fut, en séance solennelle, dépouillé de sa chaire, il applaudit si bruyamment qu’on faillit l’expulser de l’université. Que lui eût importé, d’ailleurs? Plotin ne lui avait-il pas appris à compter pour rien toutes les choses de ce monde? Coleridge est pauvre, il est poète, il est amoureux d’une jeune fille qu’il a entrevue, il est communiste, il est prêt à mourir, s’il le faut, pour ses idées religieuses. Un coup de tête le tente. Se promenant, un jour de vacances, dans les rues de Londres, et n’ayant pas en poche un son vaillant, il aperçoit un bureau de recrutement, se laisse séduire par la solde offerte, entre et s’engage. Le voilà, au mépris de ses devoirs envers les siens et envers l’université, soldat au 15e dragons, sous le nom de Silas Titus Comberback. On l’envoie en garnison à Reading. Il frappe ses camarades par son air étrange et aussi parce qu’il est très mauvais cavalier.