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savent autre chose que ce qu’il use de cotonnade ou produit de céréales. Mais, à ce point de vue pratique, la régence mérite également toute notre attention, car, on l’a vu, des colons européens, des colons français y cultivent déjà 400,000 hectares de terre et y ont engagé avec un désintéressement admirable jusqu’à 50 millions de francs! Pourquoi m’a-t-il fallu si souvent faire remarquer que tant de nombreux et justes motifs de porter intérêt à notre nouvelle conquête ont longtemps passé inaperçus devant des chambres trop imbues de l’esprit de clocher, sans larges vues d’intérêt général?

En résumé, après neuf longues années d’occupation, il manque à la Tunisie un conseil colonial qui mette en rapport les colons avec le résident général, représentant direct de la métropole ; il lui manque encore le port de Bizerte accessible à nos flottes ; une banque de crédit qui tue l’usure et réduise l’intérêt de l’argent, le 20 pour 100 actuel, au 5 pour 100 légal; des chemins de fer à voies étroites, une réforme monétaire, l’élimination mesurée, mais persistante, au profit de nos nationaux, de l’élément étranger, lequel, en raison d’économies mesquines, continue à encombrer les administrations; meilleure répartition des charges imposées aux contribuables, et enfin création d’une banque d’État ou autre. Cela n’exigerait aucun sacrifice de la mère patrie, puisque le trésor beylical pourrait, — à la longue, si l’on veut, couvrir toutes les dépenses. Les plus gros déboursés seraient ceux qu’il faudrait faire pour rendre abordables les rades tunisiennes; mais alors, pourquoi ne pas essayer du système qui fait qu’en Angleterre, — le pays maritime par excellence, — les ports couvrent au moyen de taxes qu’ils établissent eux-mêmes leurs frais de phare, de balise et autres?

L’Algérie nous a coûté un nombre infini d’existences, des milliards et l’on continue à ne rien lui marchander. La Tunisie n’exige aucun sacrifice, et pendant longtemps on lui avait tout refusé. Serait-ce parce qu’il faudrait à celle-ci plus qu’un conseil colonial ? Des députés qui, comme ceux d’Alger, d’Oran et de Constantine, ne se lasseraient jamais de demander? On se récriera peut-être en disant qu’il y a déjà pléthore de députés au Palais-Bourbon, et l’on aura raison ; toutefois, si l’avenir de la Tunisie dépend d’une voix qui assure son développement, il ne faudrait pas que cette voix fût silencieuse.


EDMOND PLAUCHUT.