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nous l’apprennent; on y trouve de grandes forêts vierges ou Choba, des terrains rocailleux, serir, de hautes montagnes, Djebel ou Nedjed, recouvertes à leur base d’une luxuriante végétation où abondent le bananier ou autres essences, et puis les sinistres Ghoud ou sables mouvans. Ceux-ci sont de vastes cimetières où dorment d’un sommeil éternel les caravanes surprises par le simoun ou terrassées par la soif. — L’on peut vivre longtemps sans manger, médisait le savant docteur Landouzy lorsque nous buvions l’eau saumâtre des puits à Kairouan, mais vivre sans boire durant bien peu de jours est chose impossible. L’agonie est affreuse et conduit rapidement à la mort. Les Ksours, ces ruines imposantes des caravansérails fortifiés que les premiers maîtres de l’Egypte construisirent dans leurs pérégrinations d’Alexandrie au Sénégal, prouvent cependant que ces solitudes ont été parcourues à des époques lointaines par plus d’un voyageur. Les tables de Ptolémée en indiquent les principales stations. Quel changement s’est-il donc produit dans la nature pour que ces itinéraires aient pu être à jamais nivelés par les poussières du désert, poussières impalpables et toujours agitées comme les feuilles du tremble ?

Revenons aux chotts, heureusement plus accessibles, vers ces lacs qu’anime un monde d’oiseaux bavards, où M. Tissot a placé la terre mythologique des Tritons et où M. Roudaire a fait tant de patientes et infructueuses études. Le projet de changer ces chotts en une mer intérieure est, on le sait, pour toujours abandonné. Il a suffi, pour réduire à néant ce projet grandiose, d’un lumineux rapport, lu en 1884, au congrès scientifique de Blois, par un grand botaniste, membre de l’Institut, le docteur Cosson.

Faute de mer intérieure, le commandant Landas, à l’instigation de M. de Lesseps, a fait creuser dans le Djérid tunisien un certain nombre de puits artésiens qui fournissent aux palmiers-dattiers le complément de ce qu’il leur faut pour croître et prospérer, c’est-à-dire l’eau : « Les dattiers, disent les Arabes, doivent avoir la tête dans le feu et les pieds dans l’eau. » C’est de cette contrée que le commandant Landas a voulu fertiliser, que Pline a dit : « Là, sous un palmier, très élevé, croît un olivier ; sous l’olivier, un figuier ; sous un figuier, le grenadier; sous le grenadier, la vigne; sous la vigne, on sème le blé, puis des légumes, puis des herbes potagères, tous dans la même année, tous s’élevant à l’ombre des uns des autres. »

J’écris ces lignes aux bords de la Méditerranée, dans une des parties les plus fertiles de notre terre de Provence, entre Antibes et Carqueiranne, et ce que Pline voyait en Afrique, je le vois ici avec un surcroit d’anémones, de tulipes écarlates, d’iris mauves et de violettes.