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Un accord ne pourra s’établir, — s’il s’établit jamais, — entre musulmans et Européens, que sur une base religieuse, par un respect profond, mutuel, des croyances qui les divisent. Pour asseoir cette base, à laquelle la politique pourrait être étrangère, — celle-ci ne venant qu’en second dans les préoccupations musulmanes, — il faudrait que nous n’eussions en Afrique que des agens, d’une tolérance extrême, aux idées élevées, connaissant à fond l’Islam, des mandataires pénétrés de cette idée qu’un Arabe ne reconnaîtra jamais d’autres lois que celles sanctionnées par les vicaires du Prophète. Nous attacher le clergé arabe est un point essentiel.

Plus qu’aucun homme au monde, le musulman est religieux et par-dessus tout croyant. S’il s’agite, travaille et lutte, ce n’est pas, comme le chrétien, le juif et les disciples de Confucius, pour amasser des richesses et acquérir des honneurs, mais pour vivre libre dans sa toi et consacrer à la prière le temps qu’elle requiert. La patrie, la famille, l’opulence, ne viennent qu’après. Comme au temps de Mahomet, si l’un de ses disciples combat pour conquérir une province, s’il repousse un envahisseur ou reprend son patrimoine sur les Anglais, comme il l’a fait au Soudan, c’est pour la plus grande gloire d’Allah. Quelle que soit la foi de nos missionnaires, elle est égalée par le plus déguenillé des derviches. Déjà du temps de Mahomet, l’Islam s’est constitué de façon à toujours avoir ses apôtres militans chargés de courir le monde et d’y faire adopter le Coran, de gré ou de force. Ils ne brûlent pas ceux qu’ils considèrent comme des hérétiques, mais ils en font des esclaves si ces hérétiques sont noirs; le yatagan tranche la tête des blancs. A côté de cet ordre de combattans religieux, que l’on ne trouve plus guère qu’en Afrique, l’on en rencontre encore un autre sans cesse à la recherche, par la vie contemplative et les pratiques pieuses, d’un état de pureté morale et de spiritualisme tendant à mettre l’âme en rapport direct avec la divinité. Ce n’est pas le nirvana des Hindous, l’annihilation complète de l’être humain dans une divine méditation, mais un état de perfection qui en approche beaucoup. On les appelle marabouts ou saints, ces contemplatifs, et ils sont vénérés comme tels. L’émir Abd-el-Kader réunissait en lui les deux types suprêmes d’apôtre et de militant. Leurs tombeaux, les blanches koubas aux coupoles arrondies, que l’on rencontre à chaque pas en pays musulman, les ossemens qu’elles contiennent, sont, selon la belle expression de M. Guy de Maupassant, a la graine divine, la semence sacrée qui fécondent le sol illimité de l’Islam, » qui y font germer, de Tanger à Tombouctou, du Caire à la Mecque, de Tunis à Constantinople, de Khartoum aux îles Soulou, dans le sud des Philippines, la religion la plus puissante, la plus mystérieusement dominatrice qui ait