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dont un, au moins, a servi à le reproduire en le modifiant par l’appropriation d’une autre virtualité de sexe et d’origine différens. En présence d’un pareil prodige, ne serait-il pas, dans l’état actuel de nos connaissances, bien téméraire de se croire, sur ce point, en possession de la vérité et d’affirmer que l’individu périt tout entier avec son corps? Cependant, rien ne nous importe plus que d’être fixés à cet égard. Pascal le sent, et l’exprime avec une singulière vigueur : « L’immortalité de l’âme (du moins sa survivance) est une chose qui nous importe si fort, qui nous touche si profondément, qu’il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l’indifférence de savoir ce qui en est. Toutes nos actions et nos pensées doivent prendre des routes si différentes, selon qu’il y aura des biens éternels à espérer ou non (c’est le chrétien qui parle ; mais il suffit qu’il puisse y avoir une autre vie et des comptes à rendre), qu’il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement qu’en la réglant par la vue de ce point qui doit être notre dernier objet. Ainsi, notre premier intérêt et notre premier devoir est de nous éclaircir sur ce sujet, d’où dépend toute notre conduite. Et c’est pourquoi, entre ceux qui n’en sont pas persuadés, je fais une extrême différence de ceux qui travaillent de toutes leurs forces à s’en instruire, à ceux qui vivent sans s’en mettre en peine et sans y penser, »

Attendrons-nous donc que la science positive nous instruise de ce que nous sommes à un si haut point intéressés à connaître tout de suite pour le règlement de notre vie ? Ce serait attendre longtemps, car, dans l’ordre des sciences, la psychologie est la dernière qui doive être organisée; ses assises reposent sur le couronnement de la physiologie, à peine encore fondée. Voyons donc si, à défaut de lumières acquises, toute révélation spontanée nous est refusée sur notre essence psychique et ses relations avec le divin.

Le contentement de soi par le sacrifice, par la victoire de la volonté sur les appétits, par l’effort au service d’autrui ; le remords, l’indignation, la pudeur, l’estime et le mépris; la fierté et le sentiment de l’humiliation; l’admiration, l’enthousiasme et l’aspiration extatique éveillée par le beau; tous ces états de l’âme relèvent et dérivent d’un même sentiment auquel il est aisé de les ramener tous, qui échappe à l’analyse et dont la portée est peut-être considérable. Chaque homme se sent de la valeur, d’abord une valeur spécifique en tant qu’il appartient à l’espèce humaine comparée à tout le reste de la population terrestre, puis une valeur individuelle par la comparaison qu’il fait de ses dons naturels, de ses qualités acquises et de ce qu’il appelle son mérite, avec ceux des autres hommes. Cette double valeur lui est révélée par sa conscience, par la joie et la tristesse toutes spéciales qui accompagnent