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l’existence pour sauver le tout de l’absurdité et que nous avons désigné par le mot divin, en n’affirmant de sa nature que sa nécessité reconnue d’avance. Dieu, en effet, pour Pascal, c’est une partie du tout substantiellement distincte du reste, qui a fait l’homme à son image et le monde pour l’homme, de sorte que son essence implique les attributs humains à l’état d’infinité et de perfection et constitue une individualité, un créateur anthropomorphe, père et juge de ses créatures. C’est donc une détermination du divin sujette à controverse, si peu évidente qu’un acte spécial de la pensée, dans lequel la volonté et le cœur interviennent, l’acte de foi chrétien, en un mot, très différent de la pure adhésion intellectuelle, y a dû être affecté. Aussi Pascal se garde-t-il avec jalousie de subordonner à la raison la connaissance directe de son Dieu. Il n’arriverait, par ce moyen, qu’à servir la métaphysique ou même le déisme, qui est sa bête noire. Ce serait, à ses yeux, le pire service à rendre au genre humain. Quant à la révélation esthétique, nous avons vu, dans notre dernière étude, qu’il en faisait bénéficier la foi chrétienne exclusivement. Il ne se sert de la raison que pour établir une communication entre sa foi et l’esprit de l’incrédule, c’est-à-dire de celui qui ne la partage pas. Au début du morceau que nous allons examiner, du fragment qui concerne son fameux pari, il établit l’impuissance de la raison à prouver Dieu; son essence est hors de nos prises : «Nous ne connaissons ni l’existence, ni la nature de Dieu, parce qu’il n’a ni étendue, ni bornes. Mais, par la foi, nous connaissons son existence; par la gloire, nous connaîtrons sa nature... » — Il a, d’ailleurs, montré qu’on peut connaître la première indépendamment de la seconde : — « Or j’ai déjà montré qu’on peut bien connaître l’existence d’une chose sans connaître sa nature. » — Il ajoute : « Parlons maintenant selon les lumières naturelles. » — Quel usage va-t-il donc faire des lumières naturelles? L’usage qui sied à cette misérable clarté. Ce ne sont pas les chrétiens qui en ont besoin ; tout au contraire : «... C’est en manquant de preuves qu’ils ne manquent pas de sens, » — Car ils sacrifient un infime moyen de connaissance à la révélation immédiate des plus hautes vérités par la grâce et la foi; leur religion, au point de vue rationnel, est une folie, stultitia, ils s’en vantent par une ironie dédaigneuse : «... Notre religion est sage et folle!.. » dit ailleurs Pascal. Mais encore faut-il raisonner avec les. incrédules, puisqu’on ne les peut atteindre que par là, en procédant comme eux, et qu’ils se croiraient «inexcusables » de procéder autrement. Il faut, pour les obliger à la plus grave attention, une entrée en matière digne de leurs instincts naturels viciés par le péché originel, et la raison y suffit. Ce sont volontiers des joueurs que l’appât du gain détermine. On va leur démontrer