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une câlinerie très féminine, très maternelle, qui n’empruntait rien du grand siècle. Le ton très roide et compassé qu’elle venait de prendre la faisait si différente d’elle-même que Jean en fut saisi. L’effet de sa sévérité fut néanmoins tout autre que celui qu’elle en attendait. Le jeune homme se cabra :

— Non, ma mère, s’écria-t-il, l’explication doit être immédiate, votre accueil ne me permet pas de la retarder. Puisque je ne suis plus traité comme l’enfant de la maison, il faut qu’on prouve que j’ai démérité. J’ai hâte d’entendre les raisons de mon père, nous verrons si elles valent les miennes.

Sans vouloir rien écouter, il la quitta brusquement. Effrayée de cette résolution exaltée qu’elle regrettait d’avoir provoquée, elle aussi se dirigea vers l’appartement du comte de Vair. Haletante, la comtesse courait, désireuse de ne pas laisser un instant son mari et son fils seuls en présence.

Elle était grande et svelte, en tout très distinguée, le visage encadré de bandeaux grisonnans, le nez très aquilin aux fines narines frémissantes, le front haut et bombé, intelligent et obstiné, l’œil bleu, à volonté très fier et très doux, les lèvres un peu trop minces lorsqu’elle ne souriait pas.

Dès son entrée, elle fut frappée de la pâleur de son mari, ainsi que de l’expression sèche et dure de son regard, elle comprit que l’irruption inattendue de son fils, le mettant en demeure de s’expliquer avant l’heure de son choix, l’avait blessé au vif, et elle jugea qu’aucune intervention n’arrêterait la scène qui s’annonçait terrible entre ces deux hommes aussi hautains l’un que l’autre.

Debout, en costume de cheval, prêt à sortir ainsi qu’il faisait chaque matin, le comte de Vair portait avec verdeur ses soixante-dix ans. Grand chasseur, passionné pour l’équitation, soupçonné de chouannerie au temps de la duchesse de Berry, il s’était souvenu assez tard que la transmission de sa descendance lui faisait une loi de se marier. Sa femme, il l’avait cherchée d’une lignée égale à la sienne, et, quand après l’avoir épousée, il s’aperçut qu’elle était douée de charme et de bonté, il se prit pour elle d’un sincère attachement. Par une délicate attention pour les goûts de son mari, la comtesse, d’ailleurs, s’était condamnée sans regret à habiter toute l’année la terre de Vair. C’était le prendre par son faible.

La certitude de finir ses jours entre son faire-valoir, son élevage et ses chiens satisfaisait ses goûts de gentilhomme campagnard, et, d’ailleurs, à quelle autre existence eût-il pu prétendre, depuis que la France, derechef oublieuse de ses rois, était retombée dans le bourbier révolutionnaire ?

L’Union était le seul journal qu’il se permît, et les livres admis