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commencé cette session en écartant du premier coup tout ce qui susciterait des débats inutiles et ne serait que du temps perdu. On s’est mis bravement au budget, à l’œuvre essentielle qui est restée interrompue il y a quatre mois et qu’on ne peut plus différer, à moins de retomber encore une fois dans les douzièmes provisoires. C’est le budget qu’on examine et qu’on scrute depuis quelques jours dans toutes ses parties, dans tous ses élémens, dans sa structure, dans son histoire. C’est la situation financière tout entière qu’on s’efforce d’éclairciret de préciser dans une discussion où se sont succédé les orateurs les plus divers, — et M. l’évêque d’Angers, et M. Léon Say, le plus sensé et le plus spirituel des financiers, et M. Henri Germain, toujours vif et hardi, et un homme nouveau, M. Poincarré, et un jeune radical, aussi instruit que véhément, M. Jamais, et M. le ministre des finances lui-même, qui a clos avec talent ce débat général. On a certainement toujours beaucoup à dire sur un budget de plus de trois milliards, qui touche à tous les intérêts, à tous les ressorts de la fortune et de la puissance du pays. La difficulté est de se reconnaître dans cet amas de chiffres, de dégager une idée, une lumière de cette situation confuse. Au fond, la vraie question, c’est qu’on a, depuis dix ans, dépensé sans compter, qu’on a épuisé les expédions et abusé du crédit, qu’on a mis dans le budget tout ce qu’on a voulu, dans un intérêt prétendu républicain, et que le moment est venu où, de toute nécessité, il faut s’arrêter, procéder à une liquidation sévère. C’est la plus grosse, si ce n’est l’unique affaire du moment, d’autant plus qu’elle résume tout le reste !

Ce n’est point, sans doute, que tout soit perdu, que les finances françaises soient irréparablement compromises, et qu’on n’ait au besoin mille explications, toutes plus ingénieuses les unes que les autres, pour pallier le fardeau qui pèse sur le pays. Non, sans doute, rien n’est perdu. On a pu dire sans forfanterie que, malgré une dette colossale et des dépenses démesurées, la signature du trésor français restait la première signature du monde. On a pu expliquer aussi que si on avait beaucoup dépensé, c’était avec profit pour la défense et l’outillage industriel du pays.

Assurément, on ne le nie pas, la signature de la France reste une des premières du monde, parce qu’elle a toujours pour dernière et souveraine garantie l’honneur et la féconde activité d’une nation laborieuse et économe. Personne ne prétend non plus que tout l’argent qui a été prodigué ait été dissipé sans qu’il en reste rien, qu’il ait été, si l’on nous permet le terme, jeté à l’eau par plaisir ou qu’il ait passé dans quelque escarcelle mystérieuse. Ce qu’on dit, ce qu’on a le droit de dire, c’est qu’à engager indéfiniment la signature de la France on risque de la compromettre, qu’à abuser du crédit et des ressources du pays un s’expose à les tarir d’avance, à les trouver épuisés au jour