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est démontrée. Nul n’a donc le droit d’affirmer que l’idéal conçu par la pensée humaine soit en essentielle et éternelle opposition avec le fond même de la réalité ; car qui le connaît, ce fond ? qui a égalé ses conceptions à tout ce que peut fournir « l’ample sein de la nature ? »

La critique générale de la science et de ses conditions, la critique particulière du matérialisme, enfin la possibilité et la légitimité d’un idéalisme conciliable avec notre connaissance même de la nature, voilà donc les trois points fondamentaux d’un enseignement conforme aux acquisitions de la philosophie moderne. Le professeur pourra ou s’en tenir à ces trois points, ou y ajouter ses opinions personnelles. Quelles qu’elles soient, si elles ont pour base les trois thèses incontestables que nous venons d’indiquer, elles auront le degré d’élévation et de sincérité nécessaires pour un enseignement éducateur. La philosophie que nous proposons d’établir sur ces fondemens n’est pas une philosophie « officielle, » mais bien une philosophie scientifique, puisqu’elle résume le travail de tous les philosophes et vrais savans de notre époque, à quelque école qu’ils appartiennent. Si, par aventure, il existait encore quelque part un matérialiste impénitent, il ne saurait se plaindre de voir critiquer un système dont il tient dans sa poche la démonstration péremptoire ; quand ses enfans seront sortis du lycée, il leur révélera cette démonstration et leur transmettra la « bonne nouvelle. »


VI.

Il résulte de ce qui précède que les grandes doctrines morales et sociales devraient être présentes, dès le début, à l’enseignement, et que tout devrait être coordonné par rapport à elles. Dans un siècle livré à la lutte des intérêts, dans une société où les nécessités de la vie sont de plus en plus envahissantes, comment voulez-vous que des enfans vous suivent à travers le latin, le grec, l’histoire ancienne, l’histoire moderne, l’histoire littéraire, etc., etc., si vous ne leur montrez pas sans cesse un but et un but élevé, s’il n’y a pas en quelque sorte, dans chacune de vos leçons, une moralité visible, un rapport au bien de l’individu et de la patrie, un intérêt esthétique, un attrait pour l’esprit comme pour le cœur, par conséquent une excitation et une force pour la volonté ? C’est là ce qui ferait des études une éducation, au lieu d’une simple instruction. Si, dans nos collèges, nous en sommes réduits à instruire les élèves au lieu de les « élever, » c’est que les études morales et sociales, négligées pendant sept ou huit années, font irruption