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d’un enseignement qui, en définitive, fait une place légitime à quelques-uns de leurs principes, mais en les démontrant par l’analyse des conditions de la connaissance, — ce qu’eux-mêmes ne font pas. Les croyans des diverses religions ne pourront davantage trouver mauvais qu’on marque les frontières du savoir humain, puisque c’est précisément au-delà que commencent leurs croyances. « Tout côté mystérieux enlevé à l’ancienne explication de l’univers, dit Spencer, est ajouté à la nouvelle interprétation. L’hypothèse de la nébuleuse ne jette aucune lumière sur l’origine de la matière diffuse, et il faut rendre compte de la matière diffuse tout autant que d’une matière concrète. La genèse d’un atome n’est pas plus facile à concevoir que la genèse d’une planète. »

À cette partie critique de la philosophie, il ne faut pas craindre d’ajouter une partie positive et constructive ; mais que sera-t-elle ? Nous répondrons : l’essentiel est qu’elle ne soit pas matérialiste. Nous considérons, en effet, comme aujourd’hui démontrée l’insuffisance du matérialisme en tant qu’explication adéquate du monde. Seuls, des hommes incompétens peuvent admettre le dogmatisme matérialiste et croire que des atomes bruts, disposés d’une certaine manière, comme les diverses pièces d’un moulin, arriveront à penser. Le matérialisme n’est pas même parvenu à se définir, ni à définir son premier principe : la matière. Le plus grand service qu’un philosophe pourrait lui rendre, ce serait de le construire logiquement ; après quoi on s’apercevrait qu’il tient dans ces deux lignes : — Tout est matière, mais nous ne savons pas ce qu’est la matière ; être = matière, matière = x.

Ni en Allemagne, ni en Angleterre, ni en France, parmi les philosophes proprement dits et au courant de la critique kantienne, vous ne trouverez de matérialistes ; vous n’en trouverez que parmi les savans, et cela, — il faut bien le dire, — parce que ces savans sont des ignorans en philosophie. Quant aux positivistes et aux évolutionnistes, depuis Comte et Littré jusqu’à Spencer, ils ont toujours affirmé avec énergie que, s’ils n’étaient pas spiritualistes, ils n’étaient pas davantage matérialistes, et encore moins. Personne ne saurait donc se plaindre de ce que la critique du dogmatisme matérialiste ait sa place marquée dans l’enseignement philosophique, comme elle l’a dans la philosophie même de notre temps.

Ceci admis, nous irions plus loin encore et nous demanderions, dans l’éducation de la jeunesse, une place à l’idéalisme. Nous ne saurions comprendre une véritable éducation sans un idéal, et sans une certaine influence attribuée à cet idéal sur la marche de l’humanité, sur la marche des choses. L’idéal ne serait une « chimère » que si le matérialisme était arrivé à se démontrer lui-même ; et c’est, au contraire, nous venons de le dire, son insuffisance qui