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d’histoire contemporaine, « à la fin du cours, se réserve le temps nécessaire pour traiter théoriquement, mais avec l’appui des faits, les questions de notre siècle. » Nous venons de voir ce qu’il faut penser de cet « appui des faits, » surtout quand il s’agit des événemens de l’histoire contemporaine. Quel est le parti politique qui ne prétend avoir l’appui des faits, et qui, effectivement, ne peut citer un bon nombre de faits en sa faveur ? Les faits physiques ont une signification précise, mais il y a des faits historiques pour tout le monde et pour toutes les causes ; il y en a pour et contre la monarchie, il y en a pour et contre la république : tout dépend de la manière de les disposer, comme les pions sur l’échiquier. Est-il rien de plus muet que la plupart des faits historiques, si on ne leur fait pas dire quelque chose, et de plus ambigu, dès qu’on veut les faire parler ? En alignant ses « petits faits, » M. Taine les a orientés comme il a voulu. Un orateur de la droite trouve ses argumens dans l’histoire, un orateur de la gauche les y trouve tout aussi bien. L’histoire, principalement contemporaine, prouve tout et ne prouve rien. Les événemens mêmes de notre siècle ne sont encore que des documens dont la valeur définitive est incertaine. L’histoire de Napoléon Ier, par exemple, n’est pas faite. Lisez Lanfrey après Thiers, Taine après Lanfrey, et concluez si vous pouvez. Ce n’est pas quand on est encore au pied de la montagne qu’on peut se rendre bien compte de l’horizon, de la grandeur et de la situation relative des objets : il faut voir de plus loin et de plus haut. L’enseignement de l’histoire contemporaine, dès qu’il sort du récit pur et simple des grands événemens, devient de plus en plus aventureux ; c’est de tous les enseignemens celui qui doit être le plus réservé, le plus libre d’appréciations, à plus forte raison de théories. On s’est même plusieurs fois demandé s’il convenait de laisser subsister cet enseignement de l’histoire contemporaine. M. Maneuvrier, entre autres, craint que les maîtres n’éveillent de légitimes susceptibilités. Comment, dit-il, ne pas émouvoir le cœur des jeunes gens, en racontant des événemens auxquels leurs amis, leurs parens, leurs pères ont pris part ? « Vous avez fatalement devant vous des fils de vainqueurs ou de vaincus. » Il faut bannir des lycées tout ce qui peut, en blessant les consciences, y faire lever le triste levain de la haine : « que la camaraderie nous donne pour quelques années, quelque part, l’illusion de la fraternité, et nous fasse une France indivisée. » Nous ne pensons pas cependant que le cours d’histoire contemporaine doive être supprimé : il faut seulement le restreindre à l’exposé des faits incontestés et incontestables, en dehors de toute opinion particulière.

Si l’histoire contemporaine, quand elle s’érige en doctrine politique, devient nécessairement blessante, c’est qu’elle s’occupe