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tel enseignement est d’autant plus admissible que, dans toutes les religions et aussi dans toutes les philosophies depuis Kant, la notion de Dieu est représentée comme un objet de pure croyance ou de « loi, » principalement de foi morale, nullement comme un objet de science ou de démonstration. Il serait même tout aussi contraire à l’orthodoxie religieuse qu’à la philosophie contemporaine de prétendre « démontrer » Dieu comme un théorème de géométrie ou une loi de physique. Ce n’est pas sur notre « science » que s’appuie l’idée de Dieu ; c’est au contraire sur notre ignorance théorique du secret de l’être et sur la conception que nous nous formons de notre idéal pratique. L’ignorance de ce qui est au fond des choses, jointe à la pensée de ce qui devrait être et de ce que nous voulons réaliser pour notre part, voilà les deux principes philosophiques de toute croyance en Dieu. Nous ne disons pas que ces principes entraînent nécessairement cette croyance, comme les prémisses d’un syllogisme entraînent la conclusion, puisque ce ne serait plus alors une vraie « croyance volontaire ; » mais nous disons que ces deux raisons, suffisantes ou non au point de vue de la pure logique, doivent être connues de tous, et qu’une éducation ne serait pas complète qui ne les ferait pas connaître. La philosophie des religions, en définitive, fait elle-même partie de la philosophie, quelle que soit la conclusion qu’on adopte pour ou contre « l’irréligion de l’avenir. »

Que le philosophe et le prêtre, dans notre pays, accomplissent donc chacun ce qu’ils croient le meilleur, mais que leur rivalité ne dégénère ni en haine ni en guerre mutuelle. Moins que tout autre, le philosophe doit oublier que la vérité est toujours relative, en ce qui concerne surtout le dernier fond de l’être, le secret de l’existence et la fin suprême de la vie. S’il y a des mythes et des symboles dans les religions, le philosophe et le savant doivent reconnaître qu’il y a aussi du symbolique, de l’imaginatif, disons le mot, du mythique jusque dans les conceptions les plus abstraites de la métaphysique ou même de la science. Et les conceptions matérialistes n’y échappent pas ; elles y échappent moins que les autres. En effet, elles composent tout avec des atomes, c’est-à-dire avec des espèces de grains de poussière ayant des formes représentables, qu’elles font tournoyer dans l’espace comme en un trou immense. N’est-ce pas là de la mythologie au premier chef, et ne faut-il pas une rare ingénuité pour croire que cette danse de petits cubes ou de petites sphères soit le fond même de l’être, de la vie, du sentiment, de la pensée ? Si les religions font de l’anthropomorphisme, le matérialisme fait de l’hylomorphisme, et il est douteux qu’il soit pour cela plus rapproché du sanctuaire impénétrable de l’être. Savans, métaphysiciens et prêtres peuvent également dire avec le poète :