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comme l’œil qui nous transporte malgré nous hors de nous-mêmes, pour nous taire apercevoir un horizon indéfini, éclairé par une lumière qui s’impose victorieusement aux regards. L’intelligence commence donc à ouvrir le moi : elle est, comme le regard, altruiste par essence. Elle est aussi, selon l’expression de Kant, législatrice. Elle tend à ériger tout en loi, parce que sa nature est de saisir la loi, qui seule peut la satisfaire. Si naturelle est cette tendance, que nous élevons toujours nos actions au rang de maximes, de théories. Nous trouvons des règles pour expliquer et justifier même une faute. Aussi la prétendue sagesse des nations fournit-elle des « maximes » pour le mal comme pour le bien. En un mot, nous voulons toujours élever le fait à la dignité d’idée. Une faute de conduite est un sophisme en action, et, nous dit Dante, le diable même est « bon logicien. » La morale, sérieusement étudiée, peut seule substituer la vérité aux sophismes du cœur ; seule elle peut élever la pensée du jeune homme à la considération de ses fins universelles, à la conscience réfléchie de sa fonction nationale, — qu’elle soit scientifique ou littéraire, — ainsi que des rapports qui existent entre cette fonction et le bien de la patrie, de l’humanité entière. Il faudrait donc introduire dans l’éducation laïque ce qui est en usage dans l’éducation religieuse : l’action constante sur les sentimens, et aussi l’action constante sur les idées, par une étude de plus en plus approfondie des principes moraux et de leurs applications.


On nous dira peut-être que l’enseignement de la morale dans les collèges se heurtera alors aux mêmes difficultés que dans les écoles ; le professeur ne saura s’il doit prononcer devant ses élèves le nom de Dieu s’il a le droit d’enseigner tout au moins une morale spiritualiste. Mais, dès aujourd’hui, dans le programme de l’enseignement spécial, ne voyons-nous pas cette mention : « Devoirs religieux et droits correspondans ; rôle du sentiment religieux en morale ? » Dans le programme de l’enseignement secondaire pour les jeunes filles, ne trouvons-nous pas également : « Devoirs religieux et droits correspondans ; rôle du sentiment religieux en morale. Les sanctions de la morale : rapport de la vertu et du bonheur. La vie future et Dieu. » Enfin, dans le programme du baccalauréat ès lettres, nous lisons : « La morale religieuse ; devoirs envers Dieu. Dieu, son existence et ses attributs. Immortalité de l’âme. » Nous ne voyons donc point pourquoi on n’oserait prononcer le nom de Dieu devant les jeunes enfans de nos collèges, en observant d’ailleurs ce qui est recommandé dans le programme des écoles primaires : « L’instituteur n’est pas chargé