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classiques, un certain nombre de belles pages, ou d’entendre, dans la bouche des historiens, le récit de faits tantôt héroïques, tantôt criminels, pour développer chez nos élèves, avec le goût littéraire, le sens moral. Ce procédé empirique est suffisant, peut-être, chez les peuples qui reçoivent par ailleurs une forte instruction religieuse et qui ont conservé la foi théologique ; est-il suffisant dans un pays comme la France, où les croyances sont en train de se dissoudre ? Si toute idée, si tout exemple, si toute lecture est une suggestion, peut-on dire que la littérature et l’histoire ne contiennent pas, à côté des suggestions dans le bon sens, un grand nombre de suggestions dans le mauvais ? Toutes ces idées sans lien, souvent contradictoires, tous ces sentimens irréfléchis et souvent opposés, finiront par se combiner avec les tendances naturelles des divers caractères, avec les influences du milieu ou des circonstances ; mais la résultante finale sera-t-elle bonne, sera-t-elle fâcheuse ? Tantôt l’un, tantôt l’autre. C’est la moralisation remise à la Providence ou au hasard. Nous ne voyons pas que, dans notre pays, les résultats de cette moralisation spontanée soient satisfaisans ; trop souvent ce système, ou plutôt cette absence de système aboutit, en France, à une démoralisation spontanée. Joignez-y la substitution de la vie d’internat à la vie de famille, et demandez-vous si Virgile, Horace, Cicéron et Tite-Live suffiront à l’éducation de la jeunesse française ? Pour que l’atmosphère morale existât, il faudrait en quelque sorte créer une organisation des suggestions ; il faudrait être assuré qu’au lieu de demeurer confuses, inconscientes, elles viendront se ranger d’elles-mêmes en des catégories parfaitement tranchées, distinctes et conséquemment comparables entre elles : de la comparaison naît le choix, la prédominance et l’ordre. Si au contraire le jeune Français, déjà léger par nature, est abandonné à tout vent, à toute impulsion bonne ou mauvaise, sans se rendre compte de rien ; s’il ne sait ni résister ni consentir volontairement aux impressions morales qui lui viennent par le dehors, sa volonté ne se formera que d’une manière imparfaite, mouvante et non stable ; on n’aura point donné à nos enfans cette fermeté du caractère qui est le fondement de la moralité et le soutien le plus sûr d’un peuple.

Dans notre pays, d’ailleurs, combien sont rares les professeurs qui mêlent des réflexions morales aux réflexions littéraires, grammaticales ou historiques ? M. Marion l’a remarqué avec raison dans son rapport : une timidité toute française retient l’expression des vérités morales sur la lèvres « des mieux intentionnés, des meilleurs parmi les éducateurs. » Au lieu de mettre notre pudeur à ne rien dire d’immoral, nous la mettons à ne pas faire de morale. Un de nos écrivains déclarait naguère que, pendant