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Le progrès des années aggravait pour Élisabeth les ennuis des situations dépendantes, qui changeaient sans cesse. Elle accepta, à l’âge de quarante-sept ans, avec le titre d’abbesse, l’abbaye d’Herford, où les habitudes étaient, sous la direction qui précéda la sienne, plus étranges encore que celles de l’abbaye de Maubuisson, gouvernée par sa sœur.

L’histoire, peu connue, de la très ancienne abbaye est renfermée sans doute dans les bibliothèques du Hanovre. Les abbesses d’Herford exerçaient, depuis le moyen âge, un véritable gouvernement, et, en cas de résistance, avaient droit de requérir la force armée. La réforme, sans diminuer les droits de l’abbesse, avait accru pour son troupeau une liberté dont la conscience de chacun faisait presque la seule limite.

Élisabeth, comme sa sœur Louise, a été exposée à d’injustes confusions avec les grandes dames qui, s’accommodant des revenus de l’abbaye, sans se soucier des vœux, avaient porté avant elle le titre et le nom d’abbesse d’Herford. Celle qui avait précédé Élisabeth était, dit la duchesse d’Orléans, « une tête folle, capricieuse et coquette. » Les mœurs de l’abbaye, pendant sa direction, étaient scandaleuses.

La tolérance d’Élisabeth sur les matières de foi était sans limite. Peu soucieuse de théologie, et ne voulant se faire juge de personne, elle se contentait d’une profession de foi chrétienne, ne tenant pour impie aucun croyant sincère. Les visiteurs des deux sexes étaient nombreux à Herford. On comparait les réunions aux séances d’une académie. La discussion aiguisait les esprits, et la présence des opposans en accroissait l’intérêt.

La célèbre Anna Schurmann, quoique notoirement hérétique, trouva à Herford, pour le petit troupeau qu’elle dirigeait, une hospitalité généreuse. Élisabeth, sans partager ses opinions, plaida fortement sa cause.

Anna Schurmann, dans sa jeunesse, avait comme Élisabeth, mais pour des mérites différens, excité l’admiration des beaux esprits de la Hollande. De fortes études classiques l’avaient préparée à l’étude des langues orientales : elle savait l’arabe et lisait la Bible en hébreu. La philologie, pour elle, avait plus d’attrait que la philosophie. Descartes l’avait plusieurs fois visitée, sans pouvoir s’entendre avec elle. Anna Schurmann savait toutes les langues de l’Europe, sans en excepter le turc. Parmi celles de l’Orient, elle s’était appliquée à l’hébreu et à l’arabe ; elle possédait toutes les finesses de la langue grecque et faisait admirer l’élégance de sa latinité. Au dire de Saumaise, elle écrivait en français aussi délicatement que Balzac. Artiste en même temps