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aurait démenti, avant toute autre supposition, le bruit d’un mariage avec un homme de petite naissance. En élevant à elle le plus humble de ses sujets, une reine déroge moins qu’en descendant jusqu’à lui.

Malheureusement, elle était pauvre et faisait à lord Craven, avec son hospitalité, l’honneur d’accepter ses bienfaits. Il avait payé ses dettes. L’orgueilleuse fille des Stuarts, qui, pour conserver le titre de reine, avait sacrifié la tranquillité et la fortune de sa famille, mourut loin du monde, oublieuse et oubliée, même de ses enfans. Sa mort ne mit en deuil aucune des cours souveraines où les droits du sang lui accordaient tous les honneurs. Les fêtes continuèrent à Windsor et à Berlin, je n’ose pas dire à Heidelberg, mais rien n’apprit au monde qu’une reine venait de mourir. Cet affront fait à sa mémoire fut précédé, sans doute, par de plus graves encore, que nous ignorons.

Pendant que leur mère terminait sans dignité sa malheureuse vie, la fortune semblait enfin sourire aux princes palatins. Les jeunes sœurs d’Élisabeth faisaient de brillans mariages. Henriette devenait princesse régnante de Transylvanie, et Sophie épousait l’électeur de Hanovre. Élisabeth, préférant le célibat à l’apostasie, repoussait la demande du roi des Romains et l’espoir de devenir impératrice, comme elle avait, pour le même motif, au temps de sa plus grande pauvreté, refusé de partager le trône de Pologne. Trop pauvre encore pour tenir une maison, elle pouvait choisir entre de princières hospitalités. Elle vécut alternativement, à Heidelberg, chez son frère Charles-Louis, à Hanovre, chez sa sœur Sophie, et à Berlin, chez sa tante, l’électrice de Brandebourg. Une des chambres de Herren-Hausen, à Hanovre, s’appela longtemps la chambre de Lisbeth.

Les mariages, dans la famille d’Élisabeth, donnaient rarement le bonheur. Charles-Louis, son frère aîné, après avoir épousé une princesse de Hesse, charmante et irréprochable, abusait du droit que les princes s’accordaient alors d’introduire leurs maîtresses à la cour et de leur donner le premier rang dans les fêtes ; il était, de plus, jaloux et brutal. L’électrice, à bout de patience, s’enfuit en lui laissant ses enfans. Élisabeth, peu conciliante par nature, prenant avec passion le parti de sa belle-sœur, l’accompagna, la dirigea même dans sa fuite, et ne voulut jamais revoir son frère. Les détails de cette lutte seraient difficiles à retrouver. L’historiographe du Palatinat la nomme, avec beaucoup de mesure et de prudence, un regrettable dissentiment entre ces nobles personnes, qui interrompit leur lignée ! Charles-Louis avait alors un fils et une fille ; en interrompant sa lignée, il ne cessa pas d’accroître sa famille ;