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du décorum, et l’on peut ajouter toutes les convenances : — « De mon temps, dit un écrivain français, Sorbière, qui a longtemps vécu en Hollande, c’était un divertissement pour les dames d’aller en bateau de La Haye à Delft ou à Leyde, habillées en bourgeoises et mêlées au vulgaire afin d’ouïr les discours que l’on tiendrait des grands sur le propos desquels elles jetaient la compagnie. Et il arrivait souvent qu’elles oyaient diverses choses qui les touchaient, et même, leur galanterie ayant quelque chose d’extraordinaire, elles ne revenaient guère sans trouver quelque cavalier qui leur offrait son service et qui, au débarqué, se voyait bien trompé de la petite espérance qu’il avait conçue que ce fussent des courtisanes, parce que toujours un carrosse les attendait. Élisabeth, l’aînée des princesses de Bohême, était quelquefois de la partie. » Le carrosse qui désappointait les galans conduisait la belle philosophe à Endegeest, à un quart de lieue de Leyde, où, quittant sa solitude et son beau jardin d’Egmont, Descartes était venu s’établir pour accorder plus souvent à sa jeune amie les savantes causeries qu’il aimait autant qu’elle et qu’elle préférait à tout. — « On racontait merveille, dit Sorbière, de cette rare personne qu’à la connaissance des langues elle ajoutait celle des sciences, qu’elle ne s’amusait point aux vétilles de l’école, mais voulait connaître les choses clairement, que, pour cela, elle avait un esprit net et un jugement solide ; qu’elle lisait fort avant dans la nuit ; qu’elle se faisait faire des dissections et des expériences. Son âge semblait de vingt ans, sa beauté et sa prestance étaient vraiment d’une héroïne. »

Le cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale conserve plusieurs portraits d’Élisabeth. Ils ne démentent pas le jugement de Sorbière. La princesse, triste et belle, paraît de grande taille, les traits sont réguliers, une belle chevelure frisée encadre son long visage sérieux et pensif. La physionomie, de grande distinction, fait deviner plus de dignité que de bienveillance, plus de fierté que de douceur, plus d’anxiété que d’espérance, plus de fermeté que de résignation.

C’est ce que confirment ces vers gravés au bas de la page :


Fortunæ domitrix, Augusti maxima regis
Filia, Palladii grandis alumna chori,
Naturæ labor, hoc vultu spectatur Elisa
Et faciem fati vim superantis habet.
Exulat, et terras, quas nunc sibi vindicat Ister
Jure patrocinii, spe putat esse suas.
Si patriis Cæsar titulis succensuit, illud
Frangere debebat Cæsaris arma caput.