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de ces compartimens correspond à une heure de la journée. Il est cinq heures par exemple, Julian West choisit de la musique sacrée, miss Leete touche un ressort dans la boiserie et aussitôt l’appartement est rempli par le chant majestueux de l’orgue, le volume de la mélodie se proportionnant aux dimensions de la chambre. Où est l’orgue? Où. est l’exécutant aussi fort que Bach en personne? L’idée de l’économie du travail par la corporation a été appliquée au service musical, le téléphone relie les maisons particulières à des salles admirablement aménagées sous le rapport de l’acoustique. Vous n’avez qu’à presser le bouton pour entrer en communication avec la salle où tel morceau est exécuté. Quelle supériorité sur l’ancienne méthode, qui nous forçait, non-seulement à nous déranger, mais à entendre, pendant des heures de suite, beaucoup de choses qui ne nous plaisaient pas, avant d’arriver à celles que nous souhaitions! Qui donc accepterait un dîner à la condition de manger indistinctement tout ce qu’on sert sur la table? Et l’oreille a les mêmes exigences que le goût. Au XXe siècle, tout le monde adore donc la musique, et il y a de bonnes raisons pour cela. On ne l’impose plus à hautes doses, et les talens d’amateur ont cessé d’exister. Mais est-il vraiment si nécessaire d’avoir de la musique après minuit jusqu’au matin? Sans doute... Que deviendraient ceux que le sommeil fuit, et les malades, et les mourans qui s’endorment ainsi dans l’éternité bercés par les anges ? — Toutes les chambres à coucher ont un téléphone à la tête du lit, chacun obtenant la musique qui convient à sa disposition du moment. Julian West en fait l’épreuve ; grâce à un ingénieux perfectionnement du réveille-matin, il s’assure le plaisir d’ouvrir les yeux au son de la Marche turque qui transporte ses rêves en plein Alhambra, sur le trône des Abencerages.

La chambre de musique a encore une autre utilité ; elle permet le dimanche d’entendre tel ou tel sermon chez soi; la bonne parole, portée par des appareils d’une perfection incomparable, va chercher les fidèles à domicile. M. Barton, entre autres, ne prêche que par téléphone, et il a souvent cinquante mille auditeurs.

Nous entendons le sermon du révérend M. Barton tout entier, un fort beau sermon, ma foi, qui démontre éloquemment les différences morales, amenées par la force du milieu régénéré, entre les chrétiens de la fin du XXe siècle et ceux qui au XIXe portaient ce nom. Ils avaient, dans leur aveuglement, plus de mérite que les privilégiés qui devaient les suivre, ces malheureux livrés aux tentations d’un combat impie pour l’existence, ils attestaient d’une façon sublime, quand un grain de générosité restait au fond de leur cœur, ce qu’il y a de divin dans la nature humaine. Qu’était-ce que la