Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/932

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il faut, pour être éligibles, que ceux-ci aient passé un certain nombre d’années dans la retraite. Le candidat à la présidence retourne ainsi à la masse générale de la nation et a le temps de s’identifier avec elle. On suppose qu’il emploiera cet intervalle à étudier la condition de l’ensemble de l’armée plutôt que le groupe spécial de corporations dont il était auparavant le chef. Quant à l’armée, elle ne vote jamais, ce serait trop périlleux pour sa discipline. Le président a d’ordinaire une cinquantaine d’années. L’âge de la retraite, qui semble prématuré, quarante-cinq ans, ne marque donc pas le commencement d’une période d’inutilité, tout au contraire. La plupart attendent ce moment avec impatience, pour se livrer librement à des travaux personnels ; d’autres, il est vrai, ne songent alors qu’à voyager et à jouir de la vie; pour tous, c’est comme un renouvellement de jeunesse, d’ardeur, de forces vives qui se produit au sortir de l’armée. Il est remarquable, d’ailleurs, que l’on arrive à un âge plus avancé dans de bien meilleures conditions physiques sous le nouveau régime que sous l’ancien.

— Vous ne m’avez pas dit quelle part ce que nous appelions le parti rouge avait pu prendre à une révolution si radicale, dit Julian, un jour que le docteur Leete s’est amusé à lire quelques journaux retrouvés dans la chambre souterraine, et où il n’est question que de tentatives anarchiques.

— Il a, bien entendu, empêché le mouvement de son mieux en rendant toutes les réformes suspectes, répond le docteur. Nos historiens sont persuadés que le fameux drapeau rouge devait être aux gages des grands détenteurs de capitaux pour effrayer les timides. Le seul parti qui ait accompli la plus grande et la plus pacifique des évolutions est, dans toute la force du terme, le parti national. Il a surgi sans violence de toutes les classes, riches et pauvres indistinctement, quand toutes ont été amenées à reconnaître qu’une réorganisation du système industriel et social sur une base morale plus haute était nécessaire et qu’il en résulterait une prospérité incomparable. Ce parti ne pouvait porter d’autre nom, son but étant de réaliser l’idée de la nation d’une manière plus complète que jamais, car il ne représente pas, en effet, une association d’individus pour des fonctions seulement politiques, mais une véritable famille. Le patriotisme s’est élevé du rang de pur instinct à celui de dévoûment raisonné, le pays natal est devenu par excellence un père qui fait vivre les siens, au lieu de rester l’idole impitoyable qui jadis exigeait qu’on mourût pour elle, sans rien donner en échange.

Ces renseignemens, entrecoupés par une action peu nourrie sans doute, mais suffisante néanmoins pour tenir le lecteur en haleine,