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la cuisine, les travaux de couture, sont faits à très bon marché dans des établissemens publics ad hoc. L’électricité, qui nous éclaire, nous chauffe aussi. Nos maisons, sans cheminées par conséquent, sont proportionnées à nos besoins, et l’aide qu’il nous faut, nous l’obtenons de la force industrielle, en nous adressant au bureau désigné, qui prélève sur notre carte cette dépense comme les autres. Remarquez bien qu’étant tous strictement égaux, nous tenons le service pour honorable, puisque le principe de notre société est que chacun serve les autres à son tour.

— Et il en est ainsi partout?

— Ma foi, il s’en faut de peu. Toutes les grandes nations de l’Europe se sont remodelées à l’instar des États-Unis qui eurent la gloire de l’initiative ; l’Australie, le Mexique, quelques parties de l’Amérique du Sud, en ont fait autant. Les relations pacifiques de ces diverses républiques industrielles sont assurées par une forme large d’union fédérale qui embrasse le monde entier. Un conseil international règle les rapports mutuels et les questions commerciales entre les membres de la fédération, et leur politique unie contribue à faire monter les races retardataires vers les institutions du progrès.

— Mais dans le commerce avec les autres peuples, il faut bien se servir d’argent ?

— Point du tout. Il ne reste plus qu’une douzaine de marchands dans le monde depuis la chute des entreprises privées, et, leurs transactions étant surveillées par le conseil international, un système de comptes très simple suffit. Chaque nation a un bureau d’échange où se traitent ces choses. Par exemple, le bureau américain, estimant que telle quantité de produits français est nécessaire à l’Amérique, envoie un ordre en conséquence au bureau de France, qui, de son côté, agit de même. Il n’y a pas lieu de régler le taux des marchandises étrangères; telle nation donne à telle autre ses produits au même prix que s’il s’agissait de les vendre à ses propres citoyens. Cet échange, auquel rien ne force les peuples, est dans l’intérêt de tous. La nation qui voudrait se prévaloir d’un monopole serait retranchée du reste de la terre ; elle se ferait infiniment plus de mal qu’elle n’en ferait aux autres ; mais ceci n’est pas à redouter. L’entente est si cordiale que beaucoup de bons esprits prévoient l’unification future du monde entier. En attendant, le système actuel approche de la perfection autant que possible. Les rapports entre peuples différens n’ont rien de compliqué. La balance des comptes est soigneusement établie par le conseil international, les produits tenant lieu d’argent. De même, pour l’émigration, on a recours à un arrangement judicieux d’indemnités.