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une tentative systématique de résurrection réussit à merveille. Toutefois, M. Leete ne peut s’attendre à ce que son obligé accepte du premier coup les explications qu’il lui donne, et il est bien près d’apprendre à ses dépens que les Bostoniens du XIXe siècle étaient de vigoureux boxeurs, quand l’inspiration lui vient de conduire le ressuscité sur la terrasse de la maison ; de là on domine une ville qui, sans les flots sinueux de la rivière Charles, sans les promontoires et les îlots du port, ne rappellerait en rien le Boston d’autrefois : sur des milles et des milles s’étendent de larges rues plantées d’arbres et bordées de belles constructions qui, pour la plupart, ne se suivent pas régulièrement, mais sont dispersées dans des jardins. Chaque quartier est embelli par des squares ombreux où des statues, des fontaines brillent au soleil couchant. Des monumens publics d’une colossale grandeur dressent leurs masses imposantes de tous côtés. Julian West est ébloui et convaincu. Il commence à comprendre : son valet de chambre a dû périr dans l’incendie et le magnétiseur Pillsbury, il se le rappelle, avait pris congé de lui en annonçant qu’il transportait son commerce à la Nouvelle-Orléans. Personne n’a pu renseigner ses amis ni sa fiancée sur l’existence de la chambre souterraine ; on l’aura cru brûlé. Et à cette pensée Julian n’a vraiment pas le sentiment assez vif de ce qu’a dû souffrir la pauvre Edith, — il y a si longtemps, à vrai dire, que ce chagrin est passé ! — Il n’a pas surtout un regret suffisant de son amour perdu ; l’admiration où le jette cette grande ville aux larges voies, que nous nous figurons sans peine et qui, à notre goût européen, serait affreuse, suffit un instant à le distraire de tout sentiment personnel. Disons pour son excuse que la fille du docteur Leete vient d’entrer, qu’elle est belle, gracieuse, aimable et qu’elle se nomme Edith, elle aussi, par une coïncidence qui s’explique lorsqu’on découvre à la fin que miss Leete est l’arrière-petite-fille d’une miss Bartlett, laquelle n’était autre que l’ancienne fiancée de Julian West.

La situation existe dans l’Homme à l’oreille cassée, mais combien plus amusante! — L’ex-colonel Fougas, gelé dans la forteresse de Lubenfeld, puis desséché par philanthropie et pour servir à la science, se réveille dans le laboratoire où un massage judicieux l’a ranimé ; tout de suite son caractère s’affirme, « Vive l’empereur! » crie-t-il dans une première aspiration violente; puis, en retombant et d’une voix éteinte: « Garçon, l’Annuaire! » Une certaine Clémentine survient; elle a le nom et le visage de l’objet charmant qui le consola par sa tendresse après la retraite de Russie et qu’il quitta trop vite pour voler à de nouveaux exploits. Il tombe à ses pieds : « Clémentine, les destins amis te rendent