Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/907

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais cette explication, je ne l’admettrais pas pour une nature profondément humaine, cultivée et douce comme celle d’Olivier de Serres, en face de l’acte odieux que tous les historiens racontent, c’est-à-dire l’égorgement de trente ou quarante prêtres venus à Villeneuve pour se réunir en synode et qui s’étaient réfugiés dans l’église. Les victimes étaient jetées dans un puits auquel s’attacha longtemps une sinistre renommée. Le reproche que je fais à ceux qui accusent de Serres de s’être mêlé à cet acte de barbarie, ou de ne l’avoir pas empêché, c’est de se placer en dehors de toutes les conditions de la vraisemblance. Ils oublient complètement avec quelle soudaineté de pareilles exécutions s’accomplissent dans les momens de troubles populaires. En ces instans rapides qui déjouent toute prévoyance, l’aveugle impétuosité des assaillans échappe à la direction des chefs; eux-mêmes n’en sont souvent avertis que lorsque tout est consommé. De quel droit donc aller sans la plus légère preuve en imputer la responsabilité à tel ou tel de ces chefs, et, dans le cas particulier, à Olivier de Serres, qui avait conseillé l’expédition, mais qui ne la commandait pas? Rien, absolument rien n’autorise à supposer qu’il ait pu arrêter le massacre, et cette complicité directe ou indirecte demeure à l’état d’assertion entièrement gratuite. Pourquoi l’auteur qui vient de renouveler et de condenser les griefs contre Olivier de Serres sous la forme la moins dubitative et la plus acerbe ne se pose-t-il même qu’à la fin une question qu’il fallait avant tout résoudre par des recherches concluantes? « Dans quelles limites Olivier de Serres a-t-il trempé son épée dans le sang de ses frères, dans le sang de ces prêtres? Nous ne saurions le dire. » Mais n’est-ce pas très important à savoir? L’auteur ajoute : « Il est certain qu’après avoir été l’instigateur du siège et des massacres, il aurait pu en diminuer l’horreur. Son influence sur Baron et les autres chefs, sur les soldats, est incontestable. » Mais en quoi est-ce certain, et n’est-ce pas là raisonner comme s’il était agi d’une détermination concertée longtemps à l’avance, alors que tout, dans les circonstances connues, donne lieu de penser que ce fut affaire non d’heures, mais de minutes? L’auteur du mémoire que je viens de citer admet que l’on a pu faire main-basse sur tous ceux que l’on rencontrait en armes dans les rues. C’est, à son sens, « le droit de la guerre, si toutefois la guerre civile peut l’invoquer. » — « Mais, dit-il, les prêtres renfermés dans l’église n’avaient d’autre arme que la prière ; loin d’être provocateurs, ils ne pouvaient pas même se défendre ; c’était donc à leur égard de la cruauté à froid. » Cette prétendue cruauté à froid était, selon toutes les probabilités, précisément tout le contraire. Comment peut-on