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à Genève pour obtenir un ministre, et il a raconté lui-même qu’il se rendit à cet effet au logis de M. Calvin. Il ramenait avec lui le ministre que réclamait sa ville natale; il le recevait chez lui, l’hébergeait, ainsi que sa femme et sa fille, et lui faisait les avances nécessaires pour ses habits, meubles et livres. L’inventaire et le compte détaillé en subsistent encore, avec description par sous et deniers.

On conviendra que, dans ces débuts, la religion réformée occupe une assez grande place. Rien, au reste, n’est à en conclure, sinon que la participation à la guerre religieuse d’un homme si engagé dans les intérêts de la réforme et vivant en plein foyer de guerre civile ne saurait être regardée comme invraisemblable. Cette participation, dépouillée des circonstances qui s’y mêlent ou qu’on y mêle, n’offrirait même rien en soi qui doive sembler particulièrement criminel. Les guerres civiles sont assurément une chose fort grave. Pourtant, on ne voit pas que ceux qui ont eu le malheur de s’y jeter en soient restés déshonorés, et il n’est peut-être pas difficile d’en découvrir les raisons ; c’est d’abord que, comme dans un duel, on expose sa propre vie, c’est aussi qu’on croit combattre pour le bon droit et la vérité. On pourrait presque aller jusqu’à dire que les guerres civiles, avec une si juste sévérité qu’on les juge, ont souvent un principe plus respectable que les guerres étrangères, nées de querelles d’ambition ou de sauvages antipathies de race. Il y a quelque chose de noble à se battre pour des idées, et il n’y a rien de paradoxal à soutenir qu’une foi est une patrie d’élection. On se demande pourquoi ceux qui soutiennent ou qui nient l’intervention d’Olivier dans une guerre de religion semblent, les uns et les autres, y attacher une note d’infamie. C’est, d’ailleurs, trop oublier que nous sommes en plein XVIe siècle, et montrer plus de scrupules que ne le comporte et ne le permet un pareil temps. Le XIXe siècle et la fin du XVIIIe n’en ont pas toujours eu de si exigeans pour leur propre compte. Au XVIIe, la Fronde n’a déshonoré personne, puisqu’elle n’a pas déshonoré Condé. A une époque plus rapprochée, n’est-on pas moins disposé, quelque opinion qu’on ait, à parler des rebelles de la Vendée que de ses héros et de ses victimes? La politique a pu les tuer, l’histoire ne les flétrit pas.

Disons seulement un mot de l’origine de cette controverse sur le rôle joué par de Serres dans les guerres civiles. Dans les publications précédentes relatives à l’auteur du Théâtre d’agriculture, la discussion ne tenait guère de place, et on ne trouve là-dessus rien de précis dans les dictionnaires biographiques à l’article Olivier de Serres. L’érection de sa statue à Aubenas et les fêtes célébrées à cette occasion en 1872 ont eu pour effet de provoquer ces