Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/899

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la race humaine, aussitôt qu’elle apparaît, se livre à elle-même d’autres combats. Ce petit coin de terre en a vu de toute sorte, causés par des mobiles différens. Au XVIe siècle, les passions religieuses en étaient l’âme. Tout semblait y disposer le Vivarais, aussi bien que les pays analogues, malgré d’assez grandes différences, qui composent ce qu’on nomme aujourd’hui la Lozère et d’autres régions comprises dans la même zone. L’ardente imagination méridionale, qui déjà s’y fait sentir, la solennité triste du paysage, l’idée du surnaturel, représentée et entretenue par les milliers de légendes qui, dans les pays de montagne, s’attachent à chaque col, à chaque rocher, à chaque cascade, à chaque recoin mystérieux, les habitudes simples et sévères, la solitude d’une vie retirée dans les campagnes ou dans de petites villes qui, si elles n’offraient pas la corruption des grandes cités, n’en avaient pas non plus les lumières, étaient comme autant de fermens pour ces passions. Le Midi avait fait accueil plus d’une fois, dans la durée du moyen âge, à des sectes rêveuses. Le protestantisme, sous les formes qu’il recevait de ses fondateurs, présentait plus de consistance. Aussi, là comme ailleurs, c’est moins dans la masse populaire, que dans la noblesse et dans les classes relativement éclairées qu’il faisait ses premières et ses principales recrues. Le Vivarais devait fournir dans ces mêmes classes à la religion réformée un grand nombre de prosélytes, que la ferveur de leur foi de néophytes transformait en apôtres, avant d’en faire des soldats prêts à soutenir leur cause les armes à la main.

Telle devait être la famille de Serres, ou plutôt des Serres, comme la désignent les signatures de ses propres membres. Elle habitait Villeneuve-de-Berg, qui devint le principal centre du protestantisme dans le pays, et dont les deux religions devaient se disputer par les armes la possession exclusive pendant plus de cinquante ans. On a prétendu que cette famille était originaire soit de Valence en Espagne, soit d’Orange en Provence, ce qui a paru plus vraisemblable, mais ce que rien ne démontre. Des documens authentiques attestent qu’elle était fixée à Villeneuve-de-Berg au milieu du XIVe siècle. C’était une famille de bonne bourgeoisie, peu à peu enrichie par l’exercice du notariat héréditairement transmis, et à qui l’acquisition de la propriété territoriale devait conférer une sorte de noblesse. C’est ainsi qu’elle prit place parmi ces gentilshommes ruraux, attachés à la terre et au service du prince, quand elle ne se laissait pas entraîner hors de ses voies pour se jeter dans les équipées des guerres civiles. C’est à Villeneuve qu’Olivier de Serres naquit en 1519. Il n’est pas inutile, pour ce qui va suivre, d’entrer dans quelques détails. Il était l’aîné des enfans de Jacques de Serres et de Louise de Leyris. L’un de ses frères, Jean, devait