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dans l’histoire avec un caractère absolument personnel et le livre qui constitue son titre devant la postérité n’est pas seulement un ouvrage d’agriculture, mais de littérature et de morale, qui figure en cette qualité dans la série des monumens élevas par l’esprit français à cette mémorable époque. Comment donc ne serait-il pas intéressant de connaître et de juger un homme à ce point mêlé à son œuvre, de le replacer à cet effet dans son cadre, de distinguer comme il convient des époques successives dans cette longue existence, que l’on semble concentrer sur un seul point culminant et renfermer dans une formule unique, enfin de discerner ce qu’il y a de vrai ou de faux dans ces griefs auxquels une récente célébration centenaire a donné de nouveau l’occasion de se produire? C’est ce que nous allons essayer de faire.


I.

Le Vivarais, cette terre tourmentée, si on jette un coup d’œil sur sa structure, agitée par des guerres incessantes si on regarde à son histoire, est loin d’évoquer l’image de l’agriculture, qui devait y avoir son représentant le plus éminent et un de ses principaux sièges. Du calcaire, du granit, recouverts d’une couche de lave, voilà son sol pour une très grande partie. Ces coulées volcaniques offrent les accidens les plus étranges, qui y ont été causés par le travail du temps, les météores, le cours des rivières. Ces «chaussées des géants, » ces « pavés des géants, » ces passages de torrens entre des parois de basalte, ces cascades qui coulent sur des lits de pierre, donnent à ces régions comme à d’autres avoisinantes une sorte de pittoresque saisissant, mais où tout semblerait l’indice d’une éternelle misère. Les montagnes ressemblent à des chaos de rochers voués sans remède à la stérilité. Il n’est pas jusqu’aux perpétuels éboulemens de leurs bords, qui ne paraissent défier toute culture stable. Pour toute richesse naturelle, les forêts et quelques prairies fertilisées par les eaux. L’énergie humaine a su triompher pourtant en partie de ce sol revêche. La culture s’est en quelque sorte insinuée à travers les fissures de ces roches montagneuses. Elle y a introduit l’olivier et le mûrier, qui vivent de soleil et d’un peu d’eau, le figuier, surtout la vigne, qui, bien exposée, poussant ses racines dans ce sol pierreux, demande peu et rend beaucoup. Elle a étage ces flancs, toujours prêts à s’écrouler, en petites terrasses soutenues par des murs de pierres sèches. Malgré ces victoires partielles, qu’il faut renouveler sans cesse, on n’en reste pas moins dominé par l’impression de ces révolutions convulsives qui ont déchiré cette terre, témoin des luttes intestines que la nature se livre avant de rendre habitable le théâtre où