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des arquebusades et le son de l’artillerie. » Cette image guerrière, jetée au milieu d’une peinture toute bucolique, nous arrache à l’idylle et nous ramène à la pensée des guerres civiles qui se sont déchaînées sur ce pays et qui ont finalement détruit ce vieux château morceau par morceau. Tombé d’abord aux mains du duc de Montmorency deux ans après la mort d’Olivier, puis remis en la possession de son fils Daniel, il subit des mutilations; puis ses fortifications sont renversées; enfin, de nouveau assiégé par les troupes du duc de Ventadour en mai 1628, il est démoli jusqu’aux fondemens. Il avait fallu, pendant plusieurs jours, employer la sape et le canon, et Daniel de Serres ne s’était rendu qu’à la dernière extrémité, réduit le même jour, raconte-t-il, « à se retirer en chemise à la Baume, ayant esté mis dans ce piteux estat à la porte de Myrabel dans les bastions du chasteau par les gens du roy et de M. de Perant qui y estoit en quartier. » La demeure qu’il reconstruisait sur le même emplacement rappelait, par le domaine rural resté le même, l’ancienne seigneurie, mais la guerre avait passé le niveau sur ce gracieux entourage de la résidence paternelle, où Olivier de Serres avait pu croire que « le son de l’artillerie et l’escoupeterie des arquebusades, » rappelés par le jaillissement tumultueux des eaux, étaient à tout jamais relégués dans le passé.

C’est sous des formes moins redoutables que l’écho de ces discordes, vieilles de trois siècles, est arrivé jusqu’à nous dans le pays même qui a vu naître et mourir l’auteur du Théâtre d’agriculture. Il ne s’agissait que d’une guerre de plume. Mais cette guerre, assez vivement menée dans des livres, des mémoires, des journaux, ramenait sur le tapis les luttes d’autrefois, en réveillait les sanglans souvenirs, et remettait en question la bonne renommée de l’illustre agronome. Le fait même de la participation d’Olivier de Serres aux guerres de religion, puis le degré et la nature de cette participation, avaient été déjà, avant ces polémiques locales dans l’Ardèche, l’objet d’appréciations contradictoires. Mais l’examen n’avait pas été poussé aussi avant. En prenant une connaissance plus ample des élémens qui lui servent de base, nous avouerons que nous avons été amené à modifier notre première opinion sur des points de fait qui ne sont pas sans importance sans que toutefois il en résultât aucun changement dans la manière d’apprécier le personnage qu’on met en cause. On dira peut-être qu’au cas même où certaines accusations seraient fondées, la valeur et les services de l’agronome n’en resteraient pas moins ce qu’ils sont et que le reste importe peu. Je pourrais l’admettre s’il s’agissait de l’auteur d’une « maison rustique » quelconque. Mais de Serres est une de nos gloires nationales. Celui dont Bernard Palissy disait avec enthousiasme : « Je l’ai chanté toute ma vie, » se présente