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trant plus vite, faisant circuler rapidement le capital d’exploitation, voilà les avantages de la nouvelle méthode. Mais que d’inconvéniens ! Restreindre la consommation du lait, nourriture saine et peu coûteuse, par l’appât du gain immédiat, désintéresser les propriétaires ruraux de la fabrication, leur enlever un puissant ressort de loyauté et d’activité, surtout les livrer aux chances de succès d’un spéculateur qui parfois ne sait pas bien son métier, ou qui sera tenté de rechercher le plus bas prix de revient au détriment de la qualité des produits, compromettre la renommée des vieilles fromageries et peut-être les conduire à leur ruine. Plus de beurre pour les besoins de la maison, plus de petit-lait pour l’élevage des porcs ! Où sera la garantie du fruitier pour obtenir du lait pur et de bonne qualité ? Pourquoi favoriser ce goût de dépenses qui envahit aussi la campagne ? Combien de ménages où les fils menacent de quitter le toit paternel si on ne leur remet chaque dimanche un écu pour jouer aux quilles et godailler au cabaret, où les filles vont aux champs en bottines, font tirer leur photographie, et s’ingénient à singer les toilettes de la châtelaine ! Combien de cultivateurs oublient que le jour de la pesée était autrefois celui du paiement des fermages, des achats d’étoffes et de provisions d’hiver ! On gaspille volontiers les petites sommes, tandis que les gains sérieux portent en eux-mêmes une sorte de majesté et de superstition qui retient de les galvauder, et pousse à leur donner comme contrepoids des dépenses également sérieuses. Conclusion : La vente à un entrepreneur empêchera le développement de notre industrie laitière : aussi, dans beaucoup d’endroits, est-on revenu à l’ancien système.

V.

L’industrie laitière a, depuis un quart de siècle, réalisé d’immenses progrès dans le monde entier. Les beurres danois, suédois, hollandais, allemands, italiens, américains nous font une concurrence de plus en plus active sur les marchés de l’Angleterre et de l’Amérique du Sud. Partout on a organisé l’enseignement agricole ; en Écosse, en Irlande, on a un enseignement ambulant pour la bonne fabrication du beurre ; les États-Unis, le Canada, appliquent notre principe d’association au traitement du lait. « Dans certains districts, vous rencontrez çà et là un grand bâtiment en bois auquel est annexée une étable à porcs, près duquel court un ruisseau : du premier coup d’œil la fromagerie se trahit aux yeux du connaisseur. Tout est d’une propreté minutieuse. De grandes cuves placées les unes à côté des autres sont disposées de ma-