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IV.

L’industrie fromagère a débuté dans les hauts plateaux, et, jusqu’en 1830, les fromages de montagnes formaient l’immense majorité de la production. Voici un bail à ferme du canton de Berne (en 1714), qui fournit d’intéressans élémens de statistique.

Avec l’habitation, le vacher-fermier reçut : 1° trente mères vaches pleines, estimées pour mémoire 333 couronnes. La couronne bernoise valait 3 fr. 62 c, ce qui porte ces trente vaches à une valeur totale de 1 200 francs (aujourd’hui, elles se vendent en moyenne 4 à 500 francs) ; 2° l’alpe qu’elle devait paître ; 3° deux toises cubes de foin par vache ; 4° droit de pâturage en automne sur une grande prairie et sur tous les champs moissonnés. — En retour, il devait payer : 1° 10 couronnes, c’est-à-dire 36 francs par vache, soit 1 080 francs ; 2° 100 livres de beurre ; 3° un fromage de chaudière. Le fourrage livré, en plus ou en moins, serait réglé au prix de 12 francs la toise cube, et le beurre non livré au prix de 6 sous la livre.

Les prix ont augmenté, l’outillage s’est perfectionné, le régime de la montagne reste sensiblement le même. Le pâturage y commence le 1er  juin pour finir le 9 octobre, à la fête de la Saint-Denis. « Ces 50 énormes vaches, écrit Max Buchon, sont curieuses à voir défiler, sous la garde du fromager et de ses deux aides, portant toutes au cou une campaine grande comme un boisseau ; les unes en cuivre sourd de chaudière à fromage, — ce sont les basses du concert, — et les autres en airain sonore, donnant toutes les notes de l’octave. Quand ce cortège passe à votre portée, vous diriez une sonnerie de cathédrale lancée à toute volée. » Sur les montagnes du Doubs, du Jura et des Alpes, elles trouvent de verts pâturages, des prés-bois, interrompus çà et là par des rochers et des bouquets d’arbres, appartenant à des particuliers, à des communes qui les louent d’ordinaire pour six ans ; le prix de location dépend moins de l’étendue du terrain que de la qualité de l’herbe, de son abondance et des voies de communication. Le chalet est très simplement construit : les murs en bois, la toiture en planches ; une pièce pour le lait, une autre pour les fromages, un logement pour le fruitier et ses aides ; le long du chalet, des barreaux où l’on attache les bêtes pendant la traite, enfin, un réduit où l’on nourrit les jeunes cochons avec les recuites. L’amodier ou locataire a droit au combustible nécessaire ; à défaut de sources, les pâturages reçoivent l’eau par des voies artificielles. Il faut environ 1 hectare 30 ares de pré par vache : si le lot n’est pas assez garni, l’herbe mal broutée devient grossière, dure, et le lait des bêtes s’en ressent comme