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UNE INDUSTRIE PASTORALE.


font qu’une, ou plutôt la seconde ne va pas sans l’autre. « Est à souhaiter le plus du domaine être employé en herbages, trop n’en pouvant avoir pour le bien de la mesnagerie, d’autant que sur un ferme fondement toute l’agriculture s’appuie là-dessus. » Et, pour remplir ce précepte d’Olivier de Serres, il faut entretenir un bétail de plus en plus nombreux (ferme sans bétail est cloche sans battant), l’expérience démontrant que l’industrie laitière est l’avenir de la France agricole, que la vache rapporte plus que l’élevage des bœufs d’engrais et du mouton :


Elle, bonne et puissante, et de son trésor pleine,
Sous leurs mains, par momens, faisant frémir à peine
Son beau flanc plus ombré qu’un flanc de léopard,
Distraite, regardait vaguement quelque part.


Dans les Hautes-Alpes, où l’on a, depuis 1877, fondé une vingtaine de fromageries, les associés reconnaissent que la même quantité de fourrages consommée par des bêtes à laine produit deux fois moins qu’employée à la nourriture des vaches sans fruitière et quatre fois moins qu’en fruitière, que la conversion des terres en prés augmente le fumier disponible, le revenu, et diminue les frais d’exploitation[1]. D’ailleurs, en favorisant l’institution dans la région des Alpes et des Pyrénées, M. Tisserand, directeur général au ministère de l’agriculture, MM. Calvet, Briot, les conseils-généraux poursuivent un autre but : le reboisement, le rega-

  1. M. Rigaux, professeur départemental d’agriculture de la Haute-Savoie, m’a fourni les chiffres suivans : ce département, d’après le recensement du 1er  janvier 1890, a 297 fruitières réparties dans 180 communes. La production du gruyère demi-gras est de 24 423 quint. 45, celle du beurre, de 4 757 quint. 81, provenant de 317 187 742 quintaux de lait. En 1889, le prix moyen du gruyère était de 100 francs le quintal et celui du beurre de 2 fr. 25 le kilogramme. En 1887 et 1888, les gruyères valaient en moyenne 110 francs et le beurre 2 fr. 15. Le nombre des fruitières, en 1887, était de 232, et de 265 en 1888. — Le département de la Savoie possède 82 000 vaches laitières, 40 fruitières et une centaine de montagnes pastorales, appartenant à des communes, à des particuliers qui les louent ou les exploitent. 307 000 kilogrammes de beurre, 1 031 000 kilogrammes de gruyère, environ 429 000 kilogrammes de fromages de fantaisie : reblochons, gratairons, boudannes, tomes, Mont-Cenis, tignards, vacherins, persillés, voilà, d’après M. Briot, la production en 1888. Les vaches sont, pendant neuf mois, nourries dans les villages, et en été dans les pelouses pastorales, qui s’étendent au-dessus de la zone forestière, et dont la contenance est évaluée à 188 000 hectares. Les fruitières fabriquent surtout du beurre et du gruyère, et c’est ce même fromage que l’on fait en plus grande quantité dans les montagnes pastorales : ainsi Beauport, qui produit 62 650 kilogrammes de beurre, 171 000 kilogrammes de gruyère, 122 850 kilogrammes de tomes, n’a pas une seule fruitière, mais il renferme quinze villages et vingt-huit montagnes pastorales.