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Il ne voit dans la mer mystérieuse et profonde que le miroir où le ciel se reflète, la « cuirasse écaillée » où étincelle l’éclair; dans les vagues changeantes qui étalent devant nos yeux un peu du secret de l’abîme, qu’une a troupe d’oiseaux blancs » voltigeant à travers des « plaques d’argent » et des « traînées d’or... »

Je ne dirai certes pas qu’il est devenu incapable de rendre les variétés délicates de la clarté qui naît ou s’évanouit dans les vapeurs de l’aube ou du crépuscule, car il n’est rien de plus achevé que Stella dans ce genre ; cherchez pourtant à quoi se réduisent les traces d’impression proprement visuelle dans ce merveilleux tableau. En réalité, il n’y a qu’un détail où la sensation se trahisse :


La lueur argentait le haut du mât qui penche,
Le navire était noir, mais la voile était blanche.


Oui, cela est vu, mieux que vu, senti, — c’est-à-dire perçu avec émotion et fixé à jamais dans le cerveau par l’ébranlement, de qualité unique, qu’a subi la rétine. Mais cela même est une impression tranchée — l’opposition de deux taches, l’une sombre, l’autre brillante, qui frappent l’œil par l’éclat de ce contraste.

Quant au reste, le « sourire divin » dont le ciel s’illumine, la « blancheur molle » où transparaît l’étoile, « comme une âme à travers une perle, » si ce n’est pas de la fantaisie pure, c’est tout au moins un développement littéraire où se dilue et s’évapore une impression trop vague pour être directement exprimée.

Enfin, on n’aurait pas épuisé le contenu de la sensation visuelle chez Victor Hugo si l’on n’y faisait une part distincte au noir, qui, pour lui, est une couleur positive. Il faut même ajouter que la sensation à laquelle correspond cette désignation se révèle si intense, si profonde et si violente qu’elle donne l’illusion d’une clarté perçue. Tantôt c’est à travers la métaphore que cet effet s’accuse, — « la porte énorme de l’ombre, » la a gueule de la nuit; » — Tantôt c’est dans l’expression immédiate, — « les blocs d’obscurité, » les « stagnations d’ombre » et « les flaques de nuit. »

Un vers résume cette particularité de la vision tournée vers l’invisible :


L’obscurité lugubre apparut toute nue :
On eût dit qu’elle était l’ombre qui la revêt.


Ce noir-là, c’est encore de la lumière; tout au moins, c’est un des deux pôles opposés vers lesquels s’orientent les couleurs qui décomposent la lumière ; car, on le sait, toutes les couleurs qui résultent d’une prédominance de rayons réfléchis et non absorbés,