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d’oliviers magnifiques, ne payant pas d’impôt en raison du voisinage de la ville sainte. Un bey, en expédition dans le sud, émerveillé de tant de végétation, ordonna qu’elle paierait la dîme que tout arbre à fruit doit payer. Les propriétaires des oliviers n’osèrent rien dire, désireux de préserver leurs têtes, mais lorsque le souverain revint à Kairouan, ayant terminé sa campagne, il trouva la région sans un arbre, telle qu’on la voit aujourd’hui. Tout avait été coupé.

Je n’ai pas rencontré de peintres français dans ces parages et ils abondent ailleurs. Je me permets de leur dire qu’ils ont tort de n’y pas venir, car je n’ai vu nulle part, pas même à Biskra, de ville plus arabe, plus africaine que Kairouan et c’est pour cela que je leur conseille de la visiter. La malpropreté y est grande, impossible de le nier, surtout celle des rues, mais n’en est-il pas ainsi dans toute l’Afrique, à l’exception d’Alger et de Tunis? Elle est tout à fait loin d’être aussi repoussante que celle de certains quartiers de Constantine, de ceux qui sont restés accrochés comme des loques malpropres au versant du Rummel, à deux pas de la Brèche.

La population de Kairouan vous frappe par la noblesse de ses manières, de ses poses et par la résignation, sans bassesse ni haine, avec laquelle elle admet notre présence dans l’un des plus vénérés sanctuaires de sa foi. Entrez, la nuit venue, dans un des lieux publics où, à la lueur d’une lampe, en face de quelques tasses de café, sont accroupis, enveloppés d’un burnous d’un blanc de neige, des indigènes à barbe vénérable, écoutant l’un des leurs discourir gravement. Votre arrivée ne paraîtra pas les surprendre; leurs gestes resteront d’une simplicité rare, et c’est en vain que vous chercherez dans leurs regards un autre sentiment que celui d’un accueil réservé, peu éloigné de la cordialité. Et ce tact si difficile à garder pour des vaincus, vous le retrouverez partout, dans les rues, dans les bazars, aussi bien chez les croyans qui prient dans la grande mosquée d’Okbar que chez les pieux gardiens de la merveilleuse mosquée du Barbier du Prophète.

Quel pouvoir surhumain a donc annihilé chez les fanatiques de la ville sacrée la haine qu’ils portaient aux chrétiens? Comment ceux-ci ont-ils pu pénétrer sans coup férir dans des sanctuaires où nul profane n’était jamais entré sans qu’un poignard frappât de mort le sacrilège? Évidemment, la force brutale n’eût pu produire un tel miracle : Allah l’avait voulu ! Lorsque les troupes françaises arrivèrent en vue de Kairouan, elles s’attendaient à combattre, et ce serait peu connaître nos soldats que de ne pas croire qu’ils le souhaitaient ardemment. Au lieu] de cela, les autorités musulmanes