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d’Oued-el-Hattab, jette dans le Kelbiah ses eaux abondantes et limoneuses. Torrentiel dans la montagne, quand il arrive dans la plaine de Kairouan, à pente faible, le Lattaf élargit son lit; arrêté par le plateau des Indi-Bou-Scella, il le contourne, entre dans le Kelbiah, alluvionne les bords sud du lac à une grande distance et fait monter le niveau des eaux ordinairement compris entre 17 et 19 mètres au-dessus de la mer. Si les pluies continuent, si le niveau du lac arrive à la cote 20, le lac déborde et jette dans le Menfès le surplus de ses eaux. Le Menfès, qui coule dans une vallée étroite à grande pente, va lui-même, après un parcours de quatre lieues environ, déboucher dans le lac Halk el-Mendjel, isolé de la mer par le cordon du littoral. À ce moment, les Arabes et les Maltais remontent en barque depuis la mer jusqu’au Kelbiah pour la pêche des poissons à huile qui s’y trouvent en abondance... A l’époque romaine, suivant toute apparence, le lac Kelbiah, dont la contenance actuelle est encore de 300 millions de mètres cubes d’eau, devait être en communication constante avec la mer qui formait, à cet endroit, un golfe profond. Peu à peu, par suite de l’irrégularité des cours d’eau, du déboisement qui a accru les eaux d’hiver de l’Oued-Lattaf aux dépens des eaux d’été et augmenté les dépôts de limon, il a dû se former au seuil du Menfès, dans le goulot étroit qui séparait le lac du golfe proprement dit, un barrage provisoire où se sont déposés en grande quantité les limons amenés par les remous. Pour la première fois le lac a été isolé; l’année suivante, le barrage a dû être rompu, les eaux se sont créé un passage et ont élevé le niveau du Menfès; après plusieurs siècles, après de nombreuses inondations, la vallée du Menfès a été constituée, le fond du lac élevé, et le régime actuel du Kelbiah établi. »

Pourra-t-on jamais utiliser cette immense quantité d’eau douce? Oui, si jamais la Tunisie devient un jour aussi peuplée que la Chine et si la Providence y fait germer cet inappréciable roseau, le bambou, sans lequel l’empire des Célestes ne serait pas le pays de l’irrigation par excellence.

« Kairouan! » vous crie tout à coup le cocher qui s’agite dans un dernier enrouement, et le mécréant, au lieu de descendre de son siège pour saluer la ville sainte, ainsi que l’usage et la tradition le lui commandent, fouette à coups redoublés ses chevaux qui s’élancent au galop sur la piste poudreuse.

A travers les tourbillons d’une poussière rougeâtre et les feux d’un soleil qui sombre à l’horizon, se montre au loin un dôme lumineux : c’est la coupole immaculée de la mosquée d’Okbar; puis on distingue, émergeant de la plaine dénudée, une longue ligne