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telles que coups et blessures n’entraînant pas la mort, escroquerie, vol, injures, vagabondage et autres délits. Par ce qui précède, on remarquera combien la loi civile est en voie d’empiéter largement sur l’ancienne loi religieuse. Ce n’est pas un changement sans gravité ; et peut-être est-il dû à l’intégrité de nos tribunaux algériens et tunisiens, lesquels pourtant, au dire des Arabes, appliquent plutôt la justice des hommes que celle de Dieu.


IX. — DÉVELOPPEMENT DE l’AGRICULTURE PAR LES EUROPÉENS. — HISTORIQUE DE L’AFFAIRE DE L’ENFIDA. — REPRISE DES TRAVAUX AGRICOLES PAR LES INDIGENES.

On se souvient peut-être qu’aussitôt après nous être installés officiellement en Tunisie, des individus se disant aptes à remplir des fonctions administratives s’offrirent au résident-général français, qui se hâta de les évincer. Une affluence aussi grande se produisit lorsque la question financière fut réglée et que la justice française fut entrée en fonctions. C’étaient encore des solliciteurs qui croyaient qu’on allait leur donner, comme autrefois en Algérie, des terrains gratuitement. On eut beaucoup de peine à leur démontrer que la Tunisie n’avait pas été conquise absolument par les armes, ce qui, sans doute, eût mieux valu pour eux et pour nous. Ceux de ces quémandeurs qui rentrèrent en France les mains vides accablèrent d’invectives le résident, le ministre des affaires étrangères dont il dépend, celui des colonies, y compris les attachés d’ambassade ayant aidé au développement de nos protectorats d’outre-mer. Heureusement qu’à côté de ces chercheurs de situations, en général ignorans des clauses autorisant notre présence armée en Tunisie, se trouvaient des colons sérieux, riches, et des compagnies d’exploitation d’une grande solidité. Avec une résolution dont il est impossible de ne pas admirer l’audace, on les vit se rendre acquéreurs d’immenses étendues de terres cultivables, et, comme on le verra plus loin, non sans quelque difficulté. Le petit colon, celui qui, n’ayant qu’un capital réduit, ne pouvait acheter qu’une mince parcelle de terrain, dut renoncer à devenir propriétaire, la grande culture ayant tout englobé. Son tour viendra, et dans des conditions plus favorables aujourd’hui, puisque, avec le nouveau régime douanier, le vin, l’huile et le blé pourront entrer dans un de nos ports sans consommer sa ruine. Lorsque la France ne sera plus une marâtre pour son dernier protégé, le colon modeste, qu’il faut bien se garder d’envoyer ici avant cette ère bénie, trouvera dans les biens habous, c’est-à-dire dans les biens légués par des musulmans charitables aux institutions de bienfaisance, ce qu’il lui faudra.