Et c’était justice, car le peu de trafic qui se faisait dans la régence allait chaque jour en diminuant. La misère, s’étendant comme une gangrène, avait pris de telles proportions que la population qui, avant notre venue, avait traversé une famine effroyable se mit à émigrer d’une façon suivie en Tripolitaine. Par haine et par politique, les Turcs de cette régence accueillirent ces allâmes et leur donnèrent à manger. Ce fut encore à l’influence d’une secte religieuse des plus puissantes, celle des Snoussya mahométans, que, lors de notre installation définitive en Tunisie, se produisit un nouvel exode en Tripolitaine, de 200,000 Tunisiens. Ainsi qu’on l’a prétendu à tort, ils n’étaient pas tous nomades. Assurément, il y en avait dans le nombre, mais il y figurait des propriétaires et des hommes influens par leur situation dans la régence. M. Marc Fournel en voit la preuve dans ce fait que, dans quelques villes de l’intérieur, les services administratifs de l’armée d’occupation furent installés dans des maisons abandonnées par les dissidens, et ces maisons étaient peut-être les mieux construites ou les plus confortables de ces villes[1].
Sur l’avis de la nouvelle commission financière, nous pûmes prendre rengagement d’organiser les finances d’après un système qui devait ramener l’abondance dans un trésor à sec et fort endetté[2]. Si l’on se rappelle qu’à Berlin comme à Londres, on nous avait donné carte blanche, il est difficile de voir dans cet étonnant traité de Kasr-Saïd autre chose qu’une preuve du détachement qu’ont certains hommes politiques de France pour les biens d’un autre hémisphère. Lorsque le voyageur russe, déjà cité, en eut connaissance, il écrivit à M. Paul Leroy-Beaulieu, pour lui exprimer ses regrets de la pusillanimité française qui s’arrêtait ainsi à mi-chemin. Les Tunisiens pensèrent comme M. de Tchihatchef, lorsqu’ils ne nous virent occuper ni Tunis ni Kairouan. A Sfax, le 28 juin 1881, la population se souleva, pilla les maisons européennes, insulta et blessa notre consul. La gare de l’Oued-Zargua, dans la vallée de la Medjerda, fut incendiée et les employés massacrés. Partout on signalait des assassinats, la situation des colons fut un moment terrible, et, pendant quelques semaines, isolés comme ils l’étaient, plus d’un crut sa fin prochaine.
Il n’y avait à l’Enfida, en ces jours de terreur, qu’une jeune femme, mère de deux enfans dont l’un, encore au berceau, agonirait. Elle a raconté devant moi, à quelques amis, et avec des accens