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après l’évènement, dont j’ai pu connaître tous les détails de la bouche même de M. J. Cubisol, consul de France à La Goulette.

« Ce fonctionnaire, aussi actif qu’intelligent, m’apprit que lorsque le 25 janvier 1878, un gros bateau à vapeur français, de la compagnie Talabot, fut échoué sur la côte tunisienne, prés du fort Bordj-Djerid, situé à 12 kilomètres de la frontière française, des essaims d’Arabes se ruèrent sur le bâtiment et l’assaillirent de toutes parts. Il est vrai, aussitôt que le consul-général de France, M. Roustan, eut fait connaître au bey l’état désespéré où se trouvait le vaisseau, un détachement de 400 hommes fut expédié au secours de ce dernier, et M. Cubisol s’empressa de les accompagner. Mais, arrivés sur les lieux, le consul de France et les soldats tunisiens, ne purent faire autre chose qu’assister en spectateurs impassibles au pillage que les Arabes, dont le nombre s’était accru de cinq à six mille individus, étaient décidés à consommer, au point qu’un de leurs chefs avait déclaré à M. Cubisol qu’il y avait trois tribus intéressées à l’opération, et qu’elles ne se retireraient point avant que le butin ne fût convenablement partagé. La seule faveur que M. Cubisol put obtenir, c’est que la vie des hommes qui composaient l’équipage fût épargnée. Aussi, après les avoir complètement dépouillés de leurs vêtemens, les Arabes eurent la « générosité » de leur permettre de gagner Tunis à pied, presque dans un état de parfaite nudité, et tout cela se passa en présence du consul de France et des représentans tunisiens de la force publique, et de plus, à la portée des canons du fort Bordj-Djerid, dont quelques décharges eussent suffi pour dissiper les brigands. » Et M. de Tchihatchef ajoute : « Évidemment, l’humiliante impuissance du bey ne laissait à la France d’autre moyen que l’emploi de mesures énergiques pour obtenir une prompte réparation, d’autant plus qu’on savait que le gouvernement tunisien était trop pauvre pour payer une indemnité pécuniaire. Malgré cela, l’affaire en resta là, et cette fois encore le gouvernement français avait consenti à attendre son heure pour agir. C’est cette heure décisive que tous les amis de l’humanité en général, et de la France en particulier, attendent avec impatience. C’est alors seulement que la mission providentielle de la France en Afrique sera réellement accomplie et que ces splendides contrées redeviendront le grenier et le jardin de l’Europe sans avoir à regretter la protection des drapeaux italiens ou britanniques. « 

Le massacre du colonel Flatters et de son escorte par les Touaregs, la violation de la frontière algérienne par les montagnards kroumirs, lassèrent une patience qui, rarement chez nous, eut à subir de plus rudes épreuves. Sans même déclarer la guerre à la régence, mais après avoir fait occuper Bizerte et plusieurs autres