Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/803

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le bey, ce jour-là, avait, sans qu’il s’en doutât ni nous non plus, mis son état sous notre dépendance. Il n’avait fallu, pour obtenir sans lutte et sans bruit ce résultat heureux, que l’engagement du trésor français de faire verser tous les ans à la régence, et pendant un certain nombre d’années, une somme de 2 millions jusqu’à l’achèvement d’un réseau de chemins de fer tunisiens. Ce qui surprendra toujours, c’est que, peu de temps après cette concession, M. de Bismarck, qui voyait l’Angleterre s’approprier l’île de Chypre, et l’Autriche-Hongrie prendre l’Herzégovine, offrit à la France, ainsi que je l’ai déjà dit, de lui laisser prendre la Tunisie. Chose bien plus surprenante, notre représentant au congrès de Berlin, mû par un scrupule dont personne ne lui a jamais su gré, répondit à cette offre par un refus; ce désintéressement paraîtra d’autant plus singulier, que le marquis de Salisbury avait déclaré « qu’il ne devait tenir qu’à nous seuls de régler, au gré de nos convenances, la nature et l’étendue de nos rapports avec le bey, et le gouvernement de la reine acceptait d’avance toutes les conséquences que pourrait impliquer, pour la destination ultérieure du territoire tunisien, le développement naturel de notre politique. »

Ce détachement, si peu conforme aux idées de l’Angleterre, avait de quoi surprendre, et je n’étonnerai personne en disant qu’il fut de bien courte durée. L’Angleterre se ligua secrètement avec l’Italie dans les luttes acharnées que notre consul à Tunis, M. Roustan, eut à soutenir contre le consul italien, M. Maccio. Elle prêta son appui à un juif tunisien, se disant le protégé des Anglais, pour arriver à déposséder, sans y réussir, une société française, celle de l’Enfida, de l’un des domaines es plus étendus de la régence.

L’Angleterre et l’Italie ne comprirent pas que leur façon de procéder allait nous contraindre à passer de la modération la plus complète à une action vigoureuse, action s’appuyant sur quarante mille de nos baïonnettes. Je ne puis m’empêcher de citer un lait, un seul, pour démontrer combien notre prestige disparaissait alors des côtes barbaresques. Il est rapporté, — non par un Français, ce qui pourrait le rendre suspect, — mais par un de nos éminens collaborateurs. M. de Tchihatchef, un Russe, dans son livre l’Espagne, l’Algérie et la Tunisie.

« Lorsque je me trouvai, raconte-t-il, à Alger, un acte de sauvage et cynique piraterie avait été commis par des Arabes du Cap-Roux, à l’est de la petite ville de La Calle, en Tunisie, à l’égard d’un bâtiment français, sans que les autorités algériennes aient pu obtenir une réparation quelconque, et rien n’avait été décidé à cet égard à l’époque de mon séjour en Tunisie, c’est-à-dire six mois