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Dès lors, il appartint virtuellement à Port-Royal. L’explosion de sa piété fut si violente que « dès ce temps-là il renonça à toutes les autres connaissances pour s’appliquer uniquement à l’unique chose que Jésus Christ appelle nécessaire. » (Mme Périer.) Son intolérance, qui était la puissance même de sa logique appliquée à la conduite du croyant, se déclare aussitôt : sa sœur nous l’apprend dans le récit d’une anecdote très caractéristique. Mais elle a bien soin d’assurer, et nous la croyons sans peine, que Pascal et ses amis n’avaient « eu en cela aucun dessein de lui nuire (il s’agit d’un jeune hérétique) ni d’autre vue que de le détromper par lui-même, et l’empêcher de séduire les jeunes gens qui n’eussent pas été capables de discerner le vrai d’avec le faux dans des questions si subtiles. » Tout de suite aussi le prosélytisme s’enflamme en lui ; le voilà qui convertit son père à la pratique de la foi, sa sœur Jacqueline au renoncement du monde; toute la maison y passe, Il est déjà fort malade : sa santé, altérée dès l’âge de dix-huit ans, est décidément compromise; il éprouve des maux de tête très violens. C’est à cette époque qu’il composa la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies, où respire, non pas seulement la résignation la plus entière, mais bien davantage, un appel ardent à la douleur, à la destruction de ses forces. « Si j’ai eu le cœur plein de l’affection du monde pendant qu’il a eu quelque vigueur, anéantissez cette vigueur pour mon salut... »

Existe-t-il une corrélation telle entre son état cérébral et son exaltation religieuse qu’il faille considérer celle-ci comme morbide? Nous ne le croyons pas; il nous paraît bien délicat de décider si l’exercice immodéré d’une intelligence saine a déterminé les maux de tête ou si une lésion cérébrale préalable a déterminé, au contraire, la surexcitation mentale ; et, même en admettant cette dernière interprétation, pourrait-on fixer avec assurance la limite qui sépare la surexcitation mentale de la maladie mentale? Une méditation continûment cohérente comme était la sienne, exclut tout soupçon d’insanité ; quant aux inconséquences qui naissent, dans sa pensée, de sa double qualité de savant et de croyant, elles s’expliquent parfaitement par l’antagonisme latent, qui se déclarera plus tard, entre son génie scientifique et sa religion spontanée. Sa première conversion n’a été qu’une surprise, l’explosion et le triomphe soudain d’une tendance jusqu’alors balancée, primée par une tendance opposée qui tout à coup, refoulée à son tour, cédait la place avant même d’avoir eu à combattre. Mais celle-ci n’était pas vaincue. Le premier penchant qui, probablement héréditaire, constituait chez lui, comme chez un grand nombre d’hommes, la religion spontanée, devait bientôt entrer en conflit dans son âme, plus que dans toute autre, avec une tendance intellectuelle absolument contraire. L’humanité,