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a de sa volonté libre et responsable; ils expliquent trop bien le sentiment obscur qu’il a de sa dignité initiale et de sa déchéance, de sa grandeur et de sa misère tout ensemble. La foi est précisément là pour suppléer à l’impuissance de la raison, pour en mater et en endormir les révoltes ; sa fonction même consiste à faire accepter l’incompréhensible, le divin. Pascal géomètre, physicien, ne reconnaît pas à la nature le droit d’imposer silence à la raison ; Pascal chrétien s’incline devant les défis que porte à celle-ci la divinité, qui passe la nature. « Il n’y a rien de si conforme à la raison que ce désaveu de la raison. » C’est elle-même, en effet, qui déclare Dieu incompréhensible. La foi n’infirme pas non plus l’autorité des sens : « La foi dit bien ce que les sens ne disent pas, mais non pas le contraire de ce qu’ils voient, elle est au-dessus, et non pas contre. » Sans cela le fondement des sciences expérimentales serait ruiné, ce qui répugne instinctivement au savant malgré le peu de cas qu’en fait le chrétien. Pascal les déclare volontiers vaines, mais les reconnaître fausses, jamais ! Il dit excellemment : « Deux excès : exclure la raison, n’admettre que la raison. » Voilà bien sa pensée « de derrière la tête, » qui n’est ni sceptique ni incrédule, mais parfaitement pondérée, distinguant ce qui est intelligible de ce qui ne l’est pas, assignant leur matière aux opérations de l’entendement, et la leur aux actes de loi, intuitions de la vérité par le cœur. Tout ce qui est tenu pour vrai, bien que échappant à la démonstration, est matière de foi et relève, à ce titre, de la fonction mentale du cœur : les postulats de la géométrie aussi bien que les décrets de la conscience morale, aussi bien que les attributs de Dieu et son existence même. Tout le reste est matière de science et relève de l’entendement pur, borné dans ses prises et dans sa portée. « Connaissons donc notre portée; nous sommes quelque chose et ne sommes pas tout. Ce que nous avons d’être nous dérobe la connaissance des premiers principes, qui naissent du néant, et le peu que nous avons d’être nous cache la vue de l’infini... Bornés en tout genre, cet état qui tient le milieu entre deux extrêmes se trouve en toutes nos impuissances. »


VIII.

Cette division capitale du champ de la connaissance humaine en deux parts, l’une religieuse, l’autre scientifique, Pascal l’avait reçue de son père avec une soumission facilitée par le respect filial et par un penchant natif à la piété. Sa mère n’avait guère pu que lui faire balbutier le mot Dieu, car elle mourut quand il n’avait que trois ans, mais son père la suppléa dans la première éducation religieuse, si