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durer sans lui faire sentir un effroyable abandon, peut-être une menace... « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. » Terreur sublime, dont le cri est la profession de foi religieuse de Pascal, sa profession de foi spontanée.


IV.

L’impression de l’infinité sur l’âme de Pascal a deux stades. En tant que géomètre, il est doué pour analyser la nature des deux infinis et, par suite, pour mettre en lumière ce qu’il y a de profondément intéressant pour la raison dans chacun d’eux et dans leur rapport entre eux. « Voilà l’admirable rapport que la nature a mis entre ces choses, dit-il dans le premier des deux fragmens où il traite De l’Esprit géométrique, et les deux merveilleuses infinités qu’elle a proposées aux hommes, non pas à concevoir, mais à admirer... » Puis, quand il passe de la considération abstraite et tout intérieure de l’infini mathématique à la contemplation de l’espace concret, de l’infini réel, cette réalité l’épouvante; il y sent vivre, en quelque sorte, le silence; dès lors, le merveilleux se transforme en sublime. La terreur succède à l’enthousiasme; l’admiration du savant satisfait devient l’anxiété de l’homme sondant l’abîme où il est suspendu. Dans les deux cas, le sentiment est esthétique, comme le merveilleux et le sublime qui l’éveillent. Remarquons que l’indétermination même de la mesure (l’in-fini) en est le principe de part et d’autre. Cette mesure échappe à l’étreinte de la pensée et la déborde. Mais tandis que, dans le premier cas, la grandeur géométrique est seule en jeu et qu’elle n’est objective que par l’origine empirique du concept, dans le second, l’immensité s’anime et prend une qualité morale. Son silence se révèle comme un inquiétant mutisme, et le concept n’a pas seulement, aux yeux du penseur, pour objet l’espace réel; il est accompagné d’une image sensible et, comme tel, il exprime; le cœur intervient et sent ce que, par lui-même, ne suppose pas le concept, à savoir un objet moral et indéterminé, par cela même redoutable, le divin. La perception de l’espace infini agit sur l’âme de Pascal comme une perception musicale, une symphonie de Beethoven sur l’âme d’un artiste. Que l’espace infini existe par lui-même ou par une nécessité supérieure à sa propre essence, il est de toute manière imposant, car il est divin par sa nature ou par son principe; le cœur de Pascal sent cela; et ce sentiment est religieux par une révélation indépendante de la loi chrétienne, d’un caractère tout esthétique, sublime. L’émotion religieuse retentit et se répercute dans le cerveau du savant d’une façon intéressante à noter : « Qui se considère de la sorte