L’homme, en sa qualité de dernière et suprême production de la terre, est à la limite extrême qui sépare ce globe de la sphère supérieure, quelle qu’elle soit (à moins d’admettre, contre toute vraisemblance, que la série des êtres, évidemment ascensionnelle sur la terre, se termine à notre petit monde). Or une limite appartient à la fois aux deux choses qu’elle borne l’une par l’autre dans un milieu continu comme est l’espace, qui permet à toutes ses parties de communiquer, et où le monde spirituel lui-même a des attaches manifestes. Il y a donc nécessairement quelque point commun entre l’essence humaine, limite de la nature terrestre et de ce qui la dépasse, de ce que nous appelons le surnaturel, le divin, et celui-ci. Certainement, ce point ne contient pas tout le divin (de là vient que nous n’y pouvons qu’aspirer), mais il suffit à la communication de l’homme avec l’idéal. Il existe un pont, jeté par le Beau, entre la terre et le ciel, ou, plus exactement : entre l’essence la plus complexe et la plus digne qui soit liée à la terre, et le monde des essences encore supérieures qui s’échelonnent dans la population de l’infini. Nous pouvons donc admettre que l’esthétique a une valeur objective sans nous heurter à cette objection radicale, et nous avons reconnu qu’elle est dépositaire de la religion spontanée. Celle-ci, en germe au fond des âmes capables de sentir la majesté de la face humaine, la noblesse du sacrifice, l’épouvante sublime de l’infini, n’a par elle-même aucune formule précise, mais elle fournit à toutes les religions supérieures les plus diverses la matière que chacune d’elles élabore selon le génie particulier des races pour instituer ses dogmes propres, son Credo spécial. C’est cette commune origine esthétique de tous les cultes qui explique l’intime connexité qu’ils ont eue avec les arts chez tous les peuples.
La religion spontanée n’est pas ce qu’on appelle ordinairement la religion naturelle; il importe de bien distinguer la première de la seconde. Celle-ci naît de la réflexion appliquée aux concepts métaphysiques de l’absolu, du nécessaire, du parfait, de la cause première, etc.; celle-là ne suppose aucun effort intellectuel, elle est le simple sentiment religieux, prédisposition innée de l’âme. Sur cette prédisposition vient se greffer toute religion traditionnelle, et nous entendons par mysticisme la somme de ces deux élémens de la piété.
Cherchons donc quelle a pu être, dans les croyances de Pascal, la part de la religion spontanée telle que nous venons de la définir. On n’hésitera guère, tout d’abord, à admettre qu’elle fut héréditaire en lui. Elle implique une tendance à croire à des interventions surnaturelles dans la vie quotidienne, et confine aisément à la superstition. Or on reconnaît infailliblement cette tendance chez son père, en dépit