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donne la parole à la foi. Remarquons bien que son dédain pour le dogmatisme de la raison n’est pas du tout le pyrrhonisme, qu’il répudie formellement d’ailleurs ; car il est aussi loin que possible de douter de tout, puisqu’il croit inébranlablement aux vérités révélées par Dieu même, qui sont les seules importantes à ses yeux. Tout est douteux, mais hors de la foi catholique; toute condition, en tant qu’elle n’est pas du domaine de la foi, est objet de doute ; il le dit expressément. Il abîme la raison humaine dans le doute avec une sorte de complaisance maligne, quand chez lui le chrétien a besoin de la désemparer pour la réduire à invoquer la révélation. Mais il n’a rien du tempérament d’un sceptique alors même qu’il humilie le plus résolument la raison. Il dogmatise, au contraire, volontiers ; ses sentences respirent une assurance impérieuse. Sa manière d’affirmer n’est pas modeste ; elle n’est pas froide comme celle de Descartes. Tandis que celui-ci a l’air, quand il formule un jugement, d’installer d’aplomb une pierre de taille, il semble, lui, enfoncer un pieu à coups de maillet. Tous deux sont d’ailleurs également confians dans leur vigueur intellectuelle et dans leurs conquêtes scientifiques. C’est que l’un et l’autre sont des penseurs, sinon de la même variété, du moins de la même espèce, des savans en un mot. La nature les avait admirablement doués pour la recherche des lois physiques et des propriétés mathématiques. Mais ils n’étaient pas nés dans une société sans traditions. Le legs séculaire du mystérieux effroi et de la noble inquiétude qui engendrèrent les croyances religieuses, le legs de la curiosité impatiente qui engendra les systèmes philosophiques, vinrent de bonne heure grandir et compliquer les problèmes affrontés par leur génie. Les soucis traditionnels de la pensée humaine s’infiltrent insensiblement, par le milieu social, dans toutes les âmes de chaque génération, les circonviennent sous forme religieuse ou philosophique dès l’enfance par l’éducation, et les ont envahies bien avant qu’elles aient pris possession d’elles-mêmes et qu’elles aient pu réagir contre cette invasion par leur propre tempérament moral. Elles peuvent être d’ailleurs plus ou moins disposées à la subir. Chez aucun individu le savant ne constitue tout l’homme. La faculté maîtresse, l’aptitude prépondérante coexiste avec d’autres aptitudes, avec des propensions parfois même contraires. Elle peut coexister avec celles-ci sans les rencontrer; sinon, jamais, en tant que savans, Descartes et Pascal n’eussent réussi ni même songé à fonder, l’un, l’édifice des connaissances sur l’aperception interne, l’autre, une apologie chrétienne sur le mépris de la raison. Les exigences de la méthode scientifique, instinctive en eux, eussent arrêté net soit la velléité téméraire de devancer les conclusions