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par un savant commentaire, avant tout soucieux de le livrer dans son intégrité au jugement du lecteur. Nous avons mis à profit, avec une respectueuse et vive reconnaissance, ces travaux de liante érudition; mais nous étions aussi incapable d’y borner nos regards que d’y contribuer. Ce qu’il nous importait surtout de reconnaître, c’était la relation proche ou lointaine des idées de Pascal avec les idées modernes et celles que nous avions pu nous former nous-même sur les questions capitales remuées si puissamment par lui. Nous avons ainsi été conduit à indiquer souvent nos propres vues sur les objets traités dans les pages que nous examinions. Si ces parties de notre étude, à défaut du reste, pouvaient obtenir l’aveu des amis de Pascal, nous n’aurions pas entièrement échoué dans nos efforts pour les intéresser.


I.

Chacun s’est aperçu plus d’une fois dans sa vie qu’il s’était trompé, bien qu’il eût cru voir très clairement la vérité. Ainsi l’évidence peut être illusoire; la certitude qu’elle détermine n’assure donc pas la possession de la vérité. A supposer même que l’homme ne se fût jamais surpris dans l’erreur, la sincérité de son jugement n’en garantirait pas la véracité : il se pourrait que son illusion eût été permanente. Il faut donc douter de tout. Il y a plus: étant générale, cette conclusion se retourne contre elle-même, car, si tout est douteux, elle est nécessairement suspecte comme le reste. Il faut donc douter même qu’il faille douter. « Il met toutes choses dans un doute universel si général, dit Pascal en parlant de Montaigne dans son entretien avec M. de Sacy, que ce doute s’emporte soi-même, c’est-à-dire s’il doute, et doutant même de cette dernière supposition, son incertitude roule sur elle-même dans un cercle perpétuel et sans repos... » Nous touchons là au fond contradictoire, tout entier mouvant, du pyrrhonisme.

Cette spéculation est sophistique; le doute absolu est impossible en fait, et, de plus, il blesse la logique. Il ne peut exister, car la raison, par essence, ne peut se défendre absolument d’affirmer; en se l’interdisant, elle a foi, tout au moins, dans l’argument même qu’elle fait valoir pour ne rien affirmer. Ne fût-ce qu’en le pesant elle fonctionne; or fonctionner, c’est se fier à son propre exercice. Le pyrrhonisme, n’accordant d’autorité à aucune proposition, refuse par là toute autorité à ce qu’il propose lui-même. Il abdique ainsi tout droit à influer sur l’état intellectuel ; et effectivement, malgré le motif que la raison se donne de douter de tout, elle n’y réussit pas; elle n’adhère pas à sa propre conclusion sceptique.