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l’Afrique, sur lesquels le Portugal a eu autrefois les droits du premier conquérant, et que l’Europe se distribue aujourd’hui sans façon, l’Angleterre, qui préside à la distribution, qui a traité successivement avec l’Allemagne, avec la France, qui traite encore avec l’Italie, devait tenir elle-même à compléter son œuvre en traitant avec le Portugal, c’est-à-dire en lui faisant la part la plus petite possible. C’est ce qui est à peu près arrivé par ce qu’on appelle l’arrangement anglo-portugais, arrangement qui est comme le dernier mot de l’ultimatum du mois de janvier, et auquel le cabinet de Lisbonne a dû finir par se résigner, faute de mieux.

Que malgré tout le Portugal trouve quelque profit à cet arrangement dicté par lord Salisbury; qu’il ait ses avantages ou ses compensations du côté de la colonie de Mozambique, du lac Nyassa ou sur le Zambèze; qu’il ait plus de territoires qu’il n’en peut occuper, c’est possible. Il est bien clair pourtant que le Portugal subit la loi du plus fort, qu’il perd de ses vieux privilèges de puissance africaine, que cet arrangement devait être un cruel mécompte pour l’amour-propre national. Il y avait surtout d’abord quelques articles qui devaient paraître durs. Le Portugal ne pouvait aliéner aucune portion de ses territoires africains sans l’autorisation de l’Angleterre; il devait soumettre le régime économique d’une autre de ses colonies africaines, de l’ouest d’Angola, au bon plaisir anglais. C’était l’asservissement du Portugal. Au dernier moment, il est vrai, prévoyant l’effet de ces conditions humiliantes, le cabinet de Lisbonne s’est efforcé de réclamer et a pu obtenir quelques atténuations. Aujourd’hui, en cas d’aliénation d’un territoire portugais, l’Angleterre n’aurait plus qu’un droit de préemption semblable à celui que la France possède sur l’état libre du Congo; elle n’aurait plus rien à voir dans le régime économique d’Angola. L’Angleterre a fait évidemment cette concession à l’amour-propre portugais pour enlever le vote du parlement de Lisbonne sur tout le reste. Tel qu’il est cependant, cet arrangement, même remanié et adouci, n’est pas moins dur pour la fierté d’un petit pays qui a un grand passé colonial; et à peine a-t-il été connu, à peine a-t-il été communiqué aux chambres réunies tout exprès, il a soulevé les plus vives protestations dans une assemblée où la majorité est pourtant ministérielle. La lecture même du traité a été violemment interrompue. Le retentissement a été plus grand encore en dehors du parlement, dans les principales villes du royaume, à Porto comme à Lisbonne, où le gouvernement a été obligé de prendre quelques mesures militaires, et même, dit-on, jusqu’aux Açores. Les progressistes, sans être un parti antidynastique, suivent le mouvement pour ne pas se séparer du sentiment public, et les républicains ont saisi cette occasion trop facile d’agitation, suppléant à leur petit nombre par le brouhaha de leurs meetings et la violence bruyante de leurs polémiques. En un mot, le trouble et l’incertitude règnent depuis quelques jours à Lisbonne.