Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/712

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

successeurs immédiats et des contemporains de Hardy. Si gros que soit son livre, dirai-je qu’il est écourté ? Non pas! mais qu’il eût pu le faire à la fois plus court et plus complet, Hardy n’a pas d’intérêt par lui-même, et, de la fac on qu’il en parle, je ne pense pas que M. Rigal demande qu’on n’en reprenne jamais aucune pièce. Il ne demande pas même, — ni nous non plus, — qu’on lise son auteur; et sans doute c’est pour cela, pour nous en épargner la fatigue et l’ennui, qu’il en a si consciencieusement analysé jusqu’aux Pastorales. Et je ne doute pas enfin qu’il ne convienne que celui-là serait cruellement désappointé, qui voudrait lier avec Hardy des rapports plus étroits, une connaissance plus intime, un commerce plus familier. Jamais peut-être on n’a plus mal écrit en vers, d’un style à la fois plus emphatique et plus plat. Jamais non plus on n’a dépensé plus de mots pour dire moins de choses, ni entassé plus d’invraisemblances pour produire au total moins d’effets. Qu’est-ce à dire, sinon que Hardy, dans l’histoire du théâtre français, représente moins un auteur qu’un moment, et son théâtre bien moins une œuvre qu’une époque? On aurait aimé que M. Rigal s’attachât donc plutôt à étudier le moment que l’homme, et qu’il sacrifiât un peu de l’analyse de l’œuvre à l’histoire de l’époque. Il l’a bien fait pour les prédécesseurs de Hardy, il aurait pu le faire aussi pour ses successeurs. Il a bien senti que, pour caractériser le rôle de Hardy, il lui fallait remonter jusqu’à Garnier, jusqu’à Jodelle, jusqu’aux derniers mystères. J’aurais voulu qu’il prolongeât son étude encore de quelques années, et qu’il menât ainsi l’histoire du théâtre français jusqu’au Cid, ou mieux jusqu’à Horace et jusqu’à Cinna. Car, si nos actions ne sont rien, ou peu de chose par elles-mêmes; si elles dépendent surtout de leurs intentions et de leurs conséquences ; il n’en est pas autrement de la plupart des œuvres dans l’histoire de la littérature ou de l’art; et ce qui les a suivies ne sert pas moins à les expliquer que ce qui les a précédées...

Mais je me reprocherais de finir sur ce mot. Tel qu’il est, trop gros, trop compact et pourtant incomplet, le livre de M. Rigal est de ceux dont on peut dire qu’il nous manquait. D’autres avaient écrit l’histoire de la tragédie française au XVIe siècle; et quoiqu’il y ait beaucoup à dire encore de Corneille et de Racine même, cependant on les connaît. Ce que l’on connaissait moins, c’est justement leurs prédécesseurs, et c’est peut-être surtout Hardy, quoique Tristan, par exemple, ou Du Ryer soient encore assez ignorés. On le connaîtra maintenant, grâce à M. Rigal, et de cette connaissance, nous avons essayé de montrer le profit que tirerait l’histoire générale du théâtre français.


F. BRUNETIERE.