Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/707

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On peut ici préciser en deux mots la part propre d’Alexandre Hardy. Il a déterminé les conditions générales de l’art dramatique, et il en a fixé le caractère essentiel. Faute d’avoir écrit pour se faire jouer, ce qui manquait le plus à ses prédécesseurs de l’école de Ronsard, c’était le sens du théâtre. La tragédie de Jodelle, celle de Grévin, celle de Garnier même, celle de Moncrestien, toute en chœurs et toute en monologues, dépourvue d’action et de mouvement, n’est qu’un exercice lyrique ou oratoire. Le poète, plus ou moins intéressé lui-même, et plus ou moins profondément ému par quelqu’une des catastrophes de l’histoire ou du roman, faisait de son lecteur le confident de ses impressions, sans jamais négliger les moyens qu’il croyait avoir de s’en faire admirer. Artiste avant que d’être poète, et poète avant que d’être auteur dramatique, il songeait moins, en le traitant, à son sujet qu’à lui-même, et il ne mettait point son application à faire vivre ses personnages, mais à se faire en quelque sorte une réputation dans la leur, à faire passer, si je puis ainsi dire, à la postérité le nom de Grévin sur les ailes de celui de César. En supprimant les chœurs, en raccourcissant les monologues, en équilibrant les actes, — dont il y en avait avant lui qui ne consistaient qu’en une seule scène, — en compliquant enfin comme il a pu, l’intrigue, Hardy a fait passer la tragédie française du mode oratoire ou lyrique au mode proprement dramatique. Ayant compris, ou senti le premier que le drame était action, il a senti ou compris que la première obligation de l’auteur dramatique était de s’aliéner de son œuvre. Et, à la vérité, il n’a pas tout à fait réussi, en ce sens que longtemps, jusqu’à Racine même, la tragédie française est demeurée trop oratoire encore. Et quand il aurait réussi, son mérite ne laisserait pas d’être quelque peu diminué par l’espèce d’impossibilité où il était de ne pas l’avoir : par lui ou par un autre, il fallait bien, pour pouvoir se développer librement, que le drame se dégageât du lyrisme ; — ou qu’il mourût en naissant. Mais enfin, dans l’histoire, c’est quelque chose que d’avoir paru le premier ; et cette chance a été celle d’Alexandre Hardy.

Moins heureux sur un autre point, il n’a pas pu achever l’œuvre, et, après avoir dégagé le drame du lyrisme, n’ayant pas le génie qu’il fallait, il n’a pas su le distinguer et le différencier du roman. C’est à quoi ses successeurs ne vont pas au surplus réussir mieux que lui; et là même est la raison de ce qu’on pourrait appeler, entre 1630 et 1640, le retour offensif de la tragi-comédie. On veut maintenant de l’action dans le drame. Pour satisfaire à cette condition qu’on exige de lui, le drame tente donc sur lui-même une épreuve nouvelle. Faute d’être encore assez déterminé dans sa nature, il essaie d’acquérir, s’il le peut, les qualités qui font autour de lui le succès du roman ; — et c’est la tragi-comédie. De là, dans le théâtre de Hardy, comme dans